jeudi 6 janvier 2011

Miroir et Miroir


Retour sur le Miroir de l'âme pécheresse de Marguerite de Navarre, ce long poème mystique dont j'ai déjà parlé ici et ici et qui continue à m'intriguer. Je viens de découvrir que Marguerite s'est inspirée directement du Miroir des simples âmes anéanties de Marguerite Porète, brûlée comme hérétique à Paris en 1310.

Pas étonnant que l'ouvrage fit scandale ! Marguerite Porète fut brûlée sur la place de Grève à Paris la même semaine que les premiers Templiers. Comme d'autres mouvements chrétiens persécutés (cathares, vaudois,...) elle appartenait plus ou moins à une mouvance pré-communiste prônant la pauvreté matérielle et la communauté des biens.

Curieusement, son livre lui survécut et, au XVIe siècle, on le traduisit en plusieurs langues. Beaucoup d'encre coule à son sujet aujourd'hui. Elle a inspiré Aragon, Philippe Sollers parle d'elle et on la compare à Sainte Thérèse d'Avila.

Mais Marguerite Porète, contrairement à Marguerite de Navarre ne consigna pas ses expériences extatiques.

Néanmoins le Miroir de l'âme pécheresse est imprégné de l'influence de la « devotio moderna », et est à compter parmi les première phases mystiques de Marguerite de Navarre. La devotio moderna et les tendances évangélistes du Miroir l'ont rendu très populaire en dehors de France ; Elisabeth Ière d'Angleterre le traduisit en anglais lorsqu'elle avait treize ans.

Dans le Miroir Marguerite se réfère en premier lieu à Paul, en particulier à une expérience extatique citée dans la seconde lettre aux Corinthiens (12, 1-4). (où il est question du Dieu qui console de toutes afflictions car Marguerite a beaucoup souffert en particulier de ses deux mariages forcés et de la perte de sa petite nièce et de trois de ses enfants).

Il es dit dans le sous-titre que le but du Miroir, est la "Connaissance de soi-même" et je ne peux m'empêcher de penser au processus de découverte de soi par la psychothérapie : car sous la forme d'un dialogue de l'âme avec soi-même ou d'un entretien avec Dieu (sorte de psychologue) par l'intermédiaire de la Bible (sorte de traité de psychologie), l'âme s'efforce de s'assurer la grâce de Dieu. Chaque état de conscience de la Grâce est suivie d'une chute dans laquelle l'âme prend conscience de son état de pécheresse, puis fait l'expérience d'une nouvelle élévation par (le biais de) la Grâce. Marguerite de Navarre trouve dans sa découverte des correspondances avec le discours des femmes mystiques du Moyen-Âge, en cela que le mouvement d'élévation/abaissement caractérise la mystique féminine à l'inverse des représentations ascensionnelles masculines de la théologie mystique influencée par le néoplatonisme.

(dessin : Sinibaldi d'ap. Michel-Ange : La Prudence assise se regardant dans un miroir, XVIe siècle).

4 commentaires:

  1. Coucou Euterpe,

    Oui, "miroir, mon beau miroir", et bien figure-toi que j'ai réimporté mon blog, mais sous un nouveau nom, et que je me suis empressée de te mettre en lien...
    Impossible de me résoudre à ne plus avoir ma "fenêtre" sur le monde et mes blogs amis...
    ce fut une expérience comme une autre et assez salutaire... parfois, on en a marre de radoter quand on fait du billet d'humeur.
    Eh bien à bientôt!

    La girouette de FICTIONS et frictions, Bettina

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  2. A Bettina : je m'étonnai aussi d'avoir un commentaire sur ce billet car le sujet de la poésie religieuse fait normalement fuir tout le monde ! :D
    Je suis contente que tu es remis le nez à la fenêtre mais j'ai essayé en cliquant sur ton nom de parvenir à ton blog : ca ne marche pas ! Peux-tu me donner le lien exact ?

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  3. C'est super intéressant ces contributions de femmes (en les améliorant si je comprends bien) à ces constructions masculines que sont les religions, à leurs doctrines et enseignements. Je pense cependant que les femmes devraient s'inventer leurs systèmes de pensées en propre, et sans s'inventer une "mystique", rappeler que nous sommes filles (et fils) de la terre plus que du ciel ; humain, homme et humanité viennent de humus en latin qui veut dire terre !

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  4. En fait, la caractéristique principale d'une mystique, quelle que soit la religion d'où elle est issue, est qu'elle propose l'introspection comme moyen d'atteindre le "divin" ou la "Vérité". L'accès à cette Vérité passe par l'anéantissement de la volonté égotiste (c'est-à-dire du désir et de la peur sa compagne). L'égotisme remplacé par la volonté de "Dieu" (ou ce que tu veux pourvu que ce soit quelque chose qui nous dépasse) confère à l'âme la réelle liberté, qui est l'autonomie. Étant devenue "Dieu" par condition d'Amour, elle n'a plus besoin de le désirer comme s'il était séparé d'elle. Elle ne cherche plus l'amour parce qu'elle EST l'Amour.
    C'est le propos de Marguerite Porète.
    La mystique est essentiellement une expérience de dépassement de soi qui est inexprimable mais à laquelle croient toutes les cultures.
    Si les femmes ont beaucoup exploré ce domaine en Occident c'est parce qu'elles y avaient accès et que, par contre, l'autonomie sous une autre forme leur était très difficilement accessible.
    Impossible dans ce cas de s'inventer un système de pensée à part même si, finalement, c'est ce qu'elles ont fait (à travers la mystique) !

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