mardi 20 juillet 2010

Louise Labé, les preuses et les peureuses



Hélisenne de Crenne dans son combat contre la misogynie l'a citée (ici) :

"Prenez la veuve Judith pour exemple de chasteté et la magnifiez par louange triomphale, et par cantiques perpétuels car celui qui est rémunerateur de sa chasteté l[']a faite, non seulement digne d'être imitée des femmes mais aussi des hommes, et l[']a tant favorisée qu'il lui a concédé telle vertu, qu'elle a obtenu victoire de celui qui demeurait invincible de tous et a supédité [surmonter] celui qui était insupérable [insurmontable].

Elle semble penser que Dieu a donné à Judith sa force en récompense de sa chasteté mais il ne faut pas oublier que la chasteté féminine obsédait en ce temps le mâle occidental comme elle obsède aujourd'hui le mâle oriental, avec même injonction de tenir son regard baissé devant un homme et de porter une coiffe pour dissimuler ses cheveux.
Hélisenne est obligée de souligner la chasteté de Judith pour qu'il ne soit pas dit qu'elle était une prostituée et que son geste n'a donc aucune valeur.

Judith entre dans le panthéon des preuses par la grande porte n'ayant pas fauté sexuellement.


Dans cette note , je citais les neuf preuses peintes sous forme de fresque dans la chapelle des Marquis du castello della Manta à Saluces, comme suis :
Sémiramis, Thomyris, Teuca, Déiphylle, Penthésilée, Ménalippe, Lampétho, Hyppolitè, Cinopé.
Mais c'est une liste qui date du XIVe siècle, époque à laquelle on ne trouvait aucun inconvénient d'avoir pour exemples de femmes fortes, des figures non chrétiennes qui plus est, majoritairement, issues des peuplades amazones.
Au XVIe siècle, exit les amazones. Le chiffre 9 est conservé mais on choisit de prélever trois fois trois femmes de différentes "origines".
Antique, d'abord avec Lucrèce (qui se poignarde après avoir été violée), Véturie (qui réussit à convaincre Coriolan d'épargner Rome) et Virginie (joueuse de lyre tuée par son père en sacrifice), puis juive avec Esther (qui a convaincu Assuérus de ne pas exterminer les juifs), Judith et Yael (qui tuent toutes deux un chef d'armée) et enfin chrétienne avec sainte Hélène (de Constantinople), sainte Brigitte (de Suède) et sainte Elisabeth (de Hongrie).

Fortes peut-être mais pas forcément épargnées par une fin tragique dans la fleur de l'âge.

La poétesse Louise Labé voit les choses autrement. Les grandes figures tragiques antiques ne vont pas sortir les femmes de leur condition. Elle leur préconise plus de courage au quotidien et surtout d'être un peu moins popote.
Sous forme d'une lettre à une influente dame de la société lyonnaise, elle harangue ces contemporaines. Qu'elles lâchent donc un peu la quenouille pour se mêler des affaires publiques :


A.M.C.D.B.L. (A Madame Clémence de Bourges, lyonnaise)
Estant le tems venu, Mademoiselle, que les severes loix des hommes n'empeschent plus les femmes de s'appliquer aus sciences et disciplines: il me semble que celles qui ont la commodité, doivent employer ceste honneste liberté que nostre sexe ha autre fois tant désirée, à icelles apprendre : et montrer aux hommes le tort qu'ils nous faisoient en nous privant du bien et de l'honneur qui en pouvoit venir.

Je ne puis faire autre chose que prier les vertueuses dames d'eslever un peu leur esprits par dessus leurs quenouilles et fuseaux, et s'employer à faire entendre au monde que, si nous ne sommes faites pour commander, si ne devons nous estre desdaignées pour compagnes tant es afaires domestiques que publiques, de ceuxs qui gouvernent et se font obéir...

Et pour ce que les femmes ne se montrent volontiers en publiq seules, je vous ay choisie pour me servir de guide, vous dediant ce petit euvre, que ne vous envoye à autre fin que pour vous acertener du bon vouloir lequel de long tems je vous porte, et vous inciter et faire venir envie, en voyant ce mien euvre rude et mal bati, d'en mettre en lumiere un autre qui soit mieus limé et de meilleur grace.

5 commentaires:

  1. Et dire qu'il y en a pour avancer que l'oeuvre de Louise Labé est peut-être celle d'un homme voire d'un groupe d'hommes.

    Depuis quand, au fait, les hommes écrivent des poèmes féministes ? !!!

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  2. Vous savez, ça, Héloïse, c'est parce que beaucoup de monde n'a rien à faire de ses journées... régulièrement, des pseudos historiens se réveillent en disant "oh tiens, si j'écrivais que Jeanne d'Arc n'a pas existé ? Que Molière n'a pas existé, qu'en fait c'est Corneille qui a écrit ses pièces ?"

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  3. A Héloise : je crains que ce qui s'est passé pour le XVIe siècle, ne se produise un jour pour le XXe siècle. Que l'on ne parle plus que de Simone de Beauvoir pour le siècle dernier comme on ne parle plus que de Marie de Gournay pour la Renaissance. On ne nous accorde qu'une féministe par siècle alors qu'elles grouillent en permanence.
    Floreal a cité Théroigne de Méricourt pour le XVIIIe, sur son blog. Cela m'a fait plaisir. Mais combien sont-elles encore à extirper des oubliettes où elles moisissent ?

    A Artémise : ils cherchent plutôt à créer un scoop, je crois, et c'est une bonne recette, en effet. Mais cela tient quasiment du crime quand tant de femmes méritantes sont privées, comme le dit Louise Labé : "du bien et de l'honneur" qu'elles seraient légitimement en droit d'obtenir !

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  4. @ Artemise

    Il ne s'agit même pas d'historien.ne.s improvisé.e.s qui ont remis en question son existence mais des spécialistes de ce siècle, une spécialiste en particulier: Mireille Huchon et son "Louise Labé. Une créature de papier" paru en 2006.

    Quand les femmes s'ingénient à exécuter elles-mêmes le travail de sabordage initié par les hommes, on peut dire que le système tient la route.

    Quant à l'idée du scoop avancée par Euterpe, je suppose qu'il y a de ça aussi dans cette démarche. Faire son beurre sur le dos de femmes qui ont déjà du mal à exister, à être crédible, c'est pas joli-joli.

    @ Euterpe

    C'est affreux ce que tu dis sur le XXème siècle parce que c'est vrai et que je n'y ai jamais pensé !!! L'invisibilisation des femmes étant toujours d'actualité, il y a de fortes chances que beaucoup passent à la trappe :(

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  5. A Héloise : le problème avec les Mireille Huchon & Co, c'est qu'ils se croient très malins tout en étant incapables de "sentir" le XVIe siècle et qu'ils jugent d'après des critères totalement contemporains. J'ai un peu lu d'où la dame tire ses théories et en fait ce qui semble particulièrement la troubler est que le récit et la fiction se mêlent un peu partout (pas seulement chez Louise pourtant), alors que c'était une pratique littéraire complètement généralisée à l'époque. Ensuite, elle doute des connaissances de la poétesse parce que d'après ses préjugés personnels (on nous rabâche que les femmes du peuple n'étaient pas instruites), Louise n'aurait pas du avoir les connaissances qu'elle avait. Troisièmement, il n'y a eu qu'un livre de ses oeuvres imprimé à l'époque et pour elle c'est décisif. Alors que l'on imprimait très peu et encore moins de femmes. Un seul livre imprimé complètement dédié à l'oeuvre d'une femme n'a rien de suspect. Le reste du temps, les oeuvres féminines étaient intégrées dans des oeuvres masculines. Mais à Lyon régnait une liberté d'esprit exceptionnelle et une activité artistique intense, un peu comme dans les dernières années 70. Huchon y voit là du libertinage et du coup devine à quoi est réduite Louise ? En fait, dame Huchon croit que Lyon dans les années 1540/50, c'est Paris au temps de Toulouse-Lautrec.

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