lundi 5 juillet 2010

La bataille d'Helisenne contre la misogynie

Avec ses Epistres familieres et invectives, Helisenne de Crenne (v.1510-v.1560), écrivaine et traductrice, répond à ceux qui vouent une détestation aussi furieuse qu'imbécile à la partie du genre humain qui a eu le malheur de naître femmes dans une société où il faut coexister avec elle.

Je vous livre son combat contre les mysogynes sous forme de commentaires de blog avec insultes de phallocrates tirées de la Bible contre arguments antisexistes tirés de cette même Bible (entre autres) :

Gratien Du Pont a dit : Le créateur a plus estime en somme / Le plus méchant, et le plus infect homme / Le plus mauvais, et plus vilain infâme / Que la plus sainte, et plus dévôte femme.
[elle est] Luxurieuse, sans fin pensant en mal / L'aide et secours du grand prince infernal. Tout mal provint de femme anciennement / Témoin Adam, décu vilainement.

Exemples sur le péché de luxure. Et premièrement des histoires de la sainte écriture :

"femme abuseresse," "de maulx affluante," "infaicte meschante," "au monde nuysante," "grande tromperesse," "en bien negligente," "en luxure ardente," "charogne puante," "de vices regente," "en scavoir asnesse," "de vertu impotente," "de mal instiguante," "des bons bayssante," "grande pecheresse," "oeuvre insuffisante," "a Dieu malplaisante," "d'orgueil la deesse," "de l'homme servante,"


Philippe Fournel a dit : [je dirais même plus] "de lubricité attaincte, de luxure fétides & maculées, il faut [lui] inférer [donner] punition, telle que [son] inique scélératesse l'a desservie. Son effrénée lascivité, sa luxure abominable, et beauté, fard et ornements, dont tant de malheurs s'ensuivent car il est notoire qu'étant la féminine condition de luxure prévenue, une merveilleuse audace l'associe"

Pour certain il n'y a plus superbe ni périlleux ennemi de l'homme que la femme . . . . O que infélices [malheureuses] sont vos beautés, fards et ornements, dont tant de malheurs s'ensuivent . . . la guerre aucunes fois est cause de nous faire en leurs lacs (lacets, piège) déceptifs succomber.


Helisenne a dit : Mais voyant que généralement tu détestes la féminine condition, m[']a semblé que trop est grande l'injure, puis qu'elle est universelle. Et pour ce passant sous silence, ce que je pourrais répondre, à ce que particulièrement tu me dis, je donnerai principe [je commencerai par] à approuver [prouver] fausse l'accusation, que tu fais de nos malicieuses oeuvres.


Philippe Fournel a dit : "[les] femmes sont infidèles, inconstantes, frauduleuses et déceptives [décevantes]"

"que l'on ne doit entendre la tromperie d'une femme, c'est qu'on se doit préserver de l'iniquité féminine et de la melliflue [mielleuse] prononciation d'une femme estrange [antipathique].

Helisenne a dit : [dans la Bible] qu'en la femme forte et bonne le coeur de son mari repose et s'y est dit aussi que la femme est la couronne de l'homme, édifie sa maison, et que c'est sa consolation et hilarité (joie).

„Et si elle causait si mauvais effets comme tu dis, en Deutéronome, ne serait permis aux enfants d'Israel, d'élire entre les captives et prisonnières, les belles femmes"

"Nous lisons du serviteur d'Abraham, que quand il eut dressé sa vue sur Rebecca fille d'admirable beauté, il dit secrètement en soi même, icelle est la femme que Dieu a appareillée pour Isaac"

"Je me recorde [souvient] aussi d'Abiguail femme de Nabal, très malicieux homme : laquelle n'était moins prudente que belle, qui pour occasion de conserver la vie et les biens de son mari, nonobstant la férocité de David, et ainsi fut l'homme inique préservé par la beauté de sa femme"

"Car David lui répondit les paroles qui s'ensuivent. "Vas en paix en ta maison car j'ai ouie ta voix et ai honoré ta face" et quand à ce que tu dis de la curiosité féminine, en somptueux et riches accoutrements, Saint Jérôme a rédigé par écrit, que les femmes et filles sont désireuses de précieux vêtements et savait plusieurs dames pudiques le faire, non pour complaire aux fols, ni par orgueil, mais par honnêteté ayant regard à l'état et noblesse de leurs maris, ou de leur père.

Suzanne lors qu'elle fut molestée de la perversité des deux vieillards se mundifioit [se lavait] a la fontaine, et avait envoyé investiguer [quérir] par ses pedissecques [servantes] onguens odoriférants, pour la conservation de sa naturelle beauté, et pour complaire à son mari. Et pour ce que les choses mentales nous sont occultés, nous ne devons être prompts à faire jugements des intentions d'autrui et pour ce que les occasions nous sont ignorées, nous devons toujours prendre les choses de la meilleure part"

"Prenez la veuve Judith pour exemple de chasteté et la magnifiez par louange triomphale, et par cantiques perpétuels car celui qui est rémunerateur de sa chasteté l[']a faite, non seulement digne d'être imitée des femmes mais aussi des hommes, et l[']a tant favorisée qu'il lui a concédé telle vertu, qu'elle a obtenu victoire de celui qui demeurait invincible de tous et a supédité [surmonter] celui qui était insupérable [insurmontable].

Car je suis certaine que tu ne voudrais être du nombre d'aucunes pusillanimes femmes. (...) son nom primitif, qui était Hélisa, mais subséquentement appelée fut Didon, qui en langage Phénicien est interprété, et vaut autant à dire comme Virago, exercant oeuvres viriles. Certainement c'était celle que l'adverse fortune ne pouvait aucunement superer [supporter] Car à l'heure que icelle instable la voulait totalement prosterner en permettant la mort immaturée de son fidèle mari, cette Didon fit grande démonstration de sa vertu . . . par elle fut construite et édifiée la noble cité de Carthage laquelle depuis fut très fameuse et renommée.

"Bien pourrait-on dire pourtant, qu'en un passage de son Livre touchant les Angoisses amoureuses, elle donne une fâcheuse touche a tout détracteur de Femme, quand en une lettre qu'elle envoya a un certain Elenot (qui maintenait fort et ferme les Femmes ne se devoir mêler que de filer) elle renverse aussi plaisamment ses ironiques Raisons"

"les filles de Lélius, & celles de Hortensius (très fameux orateurs) [qui] rendirent par leurs savoirs, l'élégance de leurs pères singulièrement recommandée"

"Damas, fille de Pythagore [qui] fut si très périte [supérieure] et savante en Philosophie, qu'après que les troys soeurs eurent coupé le fil vital à son père, elle exposait les difficultés de ses sentences"

"la reine Zénobia [qui] fut tellement instruite par Longin philosophe a que pour l'abondante et reluisante science des écritures, fut nommée Ephinisa, dont Nicomaque translata [traduisit] les saintes & sacrées oeuvres"

"en Grec Déborah [qui] fut tant prudente et discrète, que comme l'on lit au livre des Juges, pour quelque temps exerca l'office de Judicature sur le peuple d'Israel"

"Valérie vierge Romaine [qui] fut si experte en lettres Grecques & Latines, qu'elle expliqua les vers et mètres de Virgile, à la foi et aux mystères de la religion chrétienne"

"Aspasie [qui] fut de si extrême savoir remplie, que Socrate philosophe tant estimé, ne fut honteux d'apprendre quelque science d'elle"

"Alpaides, vierge & religieuse [qui] fut de la grace divine tant illuminée, qu'elle eut le sens des livres de la sainte Bible"

"la très illustre et magnanime princesse, ma dame la reine de Navarre en laquelle réginale, excellente et sublime personne, réside la divinité platonique, la prudence de Caton, l'éloquence de Cicéron, et la socratique raison"

[Le texte de Judith est l'une de] tant de véritables histoires à l'encontre de [son] invétérée malice faveur [lui] prêtant jugement, que le sexe féminin, plus que le masculin était lubrique" (...) [il faut] "extirper [les] damnables opinions"
"le Dieu éternel . . . que par grâce spéciale, de telle obstination [le] libère"


Philippe Fournel a dit : (la femme) "derelinquant [délaissant] la raison, à la sensualité adhère" l'injure universelle" on "ne se peut garder d'incréper [de détracter] en général la condition muliebre [féminine]"

Helisenne a dit : Si plusieurs en y a de perverses, cela n'argue ni montre la malice de la nature, non plus que des hommes, entre lesquels plusieurs sont larrons, meurtriers, faux et déloyaux. Entre iceux aucuns ont écrit par leur curiosité invectives contre le sexe feminin, qui les devaient attribuer à tous les deux"

"les hommes sont plus brutaulx que les autres animaulx"

O que c'est une exécrable iniquité d'homme de telle faute à la femme attribuer, vue qu'en cela sa secrète conscience le juge et sait bien que lui même toujours s'efforce d'être le décepteur. Car depuis que l'homme par luxurieux désir, jette ses yeux impudiques sur l'honnête beauté de quelque dame, il use de continuelle poursuite, de sorte qu'il semble qu'il ne s'efforce moins de la subjuguer, que si par machine ou instruments belliqueux, prétendait à l'obsession d'une [à assieger une] cité (...)

"si . . . tu persiste en ton antique folie, qui serait cause de faire émouvoir la fureur de ma plume laquelle me stimulerait de t'écrire propos plus facheux, que tu ne pourrois précogiter [imaginer]"

Philippe Fournel a dit : "Si tu veux femme, prend la de ton voisin/Car maintes fois, tant par monts que par vaux/L'on est trompé , en femmes et chevaux"

Helisenne a dit : "Ne sais-tu que la chaste Suzanne de faux délateurs fut accusée ? Mais étant la splendeur de sa sincérité bien grande, par faux rapport, ne se peut longtemps occulter. Par quoi son innocence fut purgée et démontrée. Si cela en ta mémoire assiste, facilement ta douleur mitigeras"

"Mais pour timeur [crainte] que remontrances ne fussent suffisantes, pour extirper tes damnables opinions, m'en déporterai et dormant repos à la fatiguée plume, le Dieu éternel exorterai, que par grâce spéciale, de telle obstination jugement, que le sexe féminin, plus que le masculin était lubrique" te libère [délivre]"

"Et parlant en général tu dis que femmes sont de rudes et obnubilés esprits par quoi tu conclus, que autre occupation ne doivent avoir que de filer. Ce m'est une chose admirable de ta promptitude, en cette détermination. J'ai certaine évidence par cela [que si en ta faculté était] tu prohiberais le bénéfice littéraire au sexe féminin L'impropérant [la soupconnant] de n'être capable des bonnes lettres"

(extraits)

Mais les mysogynes poussent comme du chiendent et en 1617 Jacques Olivier éprouve le besoin irrépréssible de composer un „Alphabet de l'imperfection et malice des femmes“. Sa dédicace : "la plus imparfaicte creature de l'univers, l'ecume de la nature, le seminaire de malheurs, la source de querelles, le jouet des insenses, . . . l'allumette du vice, la sentine d'ordure, un monstre de nature, un mal necessaire."

Chacun de ses 25 portraits ou perceptions des femmes correspond à une lettre de l'alphabet. Par exemple, "Advissimum animal, animal tres avide; Bestiale baratrum, abime de betise; Concupiscentia carnis, concupiscence de la chair; Duellum damnosum, duel dommageable; Estuans aestans, ete brulant"; etc...

(Gratien Du Pont „Controverses des sexes masculin et femenin (Suivi de: requeste du sexe masculin contre le sexe féminin)
Philippe Fournel mari de Helisenne de Crenne dont elle se séparera comme on s'en doute !)

11 commentaires:

  1. quand même Euterpe, on aimerait bien en savoir plus sur vous et d'ou vous vient toute cette érudition

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  2. "à la recherche des femmes perdues..."

    Quelle belle idée :-)

    Bravo et merci pour ce travail essentiel, l'histoire des femmes la grande inconnue...
    Connaissez-vous le travail de Marie-Jo Bonnet sur le sujet ?
    Je viens de commencer la lecture de "Les femmes dans l'art", passionnant.

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  3. "à la recherche des femmes perdues..."

    Quelle belle idée :-)

    Bravo et merci pour ce travail essentiel, l'histoire des femmes la grande inconnue...
    Connaissez-vous le travail de Marie-Jo Bonnet sur le sujet ?
    Je viens de commencer la lecture de "Les femmes dans l'art", passionnant.

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  4. A Olympe : merci de la visite ! Je suis très honorée. En fait, Je tiens à garder l'anonymat mais j'ai un peu accès à la source des documents conservés dans le monde sur les cultures de l'humanité depuis la nuit des temps, cela permet d'avoir une autre perspective que celle que l'on autorise au commun des mortels. Tout à coup l'horizon se remplit d'une foule innombrable de femmes qui se bousculent à perte de vue et je ne sais franchement pas combien de temps il me faudra pour couvrir tout le XVIe siècle, tellement il y en a !

    A mauvaise herbe : je crois en avoir entendu parler mais je vais me renseigner. Merci de me la signaler, cela m'intéresse beaucoup !

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  5. A Olympe : merci pour la visite, je suis très honorée ! Disons que j'ai accès aux sources de toutes les cultures de l'humanité depuis la nuit des temps (oui, il y a des boulots comme ca), ce dont est malheureusement complètement privé le commun des mortels. De ce point de vue panoramique, on contemple une foule innombrable de femmes qui se bousculent à l'horizon et je ne sais pas combien de temps il me faudra pour venir a bout du seul XVIe siècle si je veux toutes les sortir de l'ombre.

    A Mauvais herbe : je crois avoir lu quelque chose mais il faut que je me documente. Merci de m'en parler, je vais me renseigner, cela m'intéresse.

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  6. A Anonyme . votre lien ne mène nulle part. Merci d'accompagner au préalable votre intervention d'un minimum d'explications.

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  7. Bonjour,
    ce qui est extrêmement intéressant, ce sont les exemples pris par la dame pour répondre aux arguments misogynes de l'homme : il s'agit d'éléments pris dans les textes de l'Antiquité et... dans la Bible.
    Voilà qui indique que ces gens du XVIe siècle sont bien conscient que ce n'est pas la religion en soi qui est misogyne, ni les institutions en général, mais bien l'usage qu'en font les hommes (et les femmes, d'ailleurs).

    Juste un petit bémol sur ce que vous dites, il me semble que dans les textes misogynes de l'époque moderne, il y a souvent une part d'humour, alors certes c'est de bas étage, mais ce n'est pas forcément à prendre au sérieux.

    Bien cordialement (et en souhaitant que vous continuiez longtemps votre fort intéressant site)

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  8. A Artémise : merci pour l'excellente remarque et les encouragements !
    Néanmoins je suis obligée de mettre un bémol au bémol car sous couvert de plaisanterie le sexisme jouit d'une tolérance qu'il ne mérite pas et qui nous fait du tort. Sur le sujet, Olympe vient de publier une vidéo édifiante qu'il faut absolument regarder (et surtout écouter).

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  9. quel mal se donnent les misogynes pour garder le pouvoir ;o) cela ne fait que renforcer ma conviction féministe ! (les racines sont tellement profondes !!! portons-nous tout le poids de ce sexisme accumulé sans le savoir ? parfois je me le demande !!!)

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  10. Euterpe, corrigez au moins le titre

    Misogyne. Misogyne.
    Miso gyne.
    Miso est un préfixe qui exprime l'aversion.
    Gyne, c'est la femme.

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  11. A Anonyme : pourtant je connais assez l'orthographe de misogyne mais je n'ai pas vu l'erreur ! Merci beaucoup !

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