dimanche 18 juillet 2010

Judith et sa servante










Encore une ultime note sur le traitement pictural de Judith qui m'a été inspirée par un commentaire sur la note précédente concernant la servante de Judith, celle à qui échoit la tâche de transporter la tête d'Holopherne. Sur la peinture de Fede Galizia, on remarque, en effet, que même si les deux femmes ne se regardent pas et sont censées appartenir à des conditions différentes, un lien humain, féminin, une complicité, une solidarité totalement indépendante et extérieure au monde masculin semble exister entre elles.
J'ai alors eu envie de comparer deux autres tableaux : ceux d'Artémisia Gentileschi (les deux premiers du haut) qui représentent la scène des deux femmes restées seules avec la tête coupée, à trois autres tableaux masculins cette fois-ci : de h. en b., ceux du Corrège, de Cranach et d'Orazio Gentileschi, père d'Artémisia.
Dans les deux premiers tableaux, on remarque que les deux femmes regardent dans la même direction. Elles épient les bruits, ont peur d'être surprises. Elles poursuivent un seul et même but, elles forment une unité et la tête Holopherne n'est plus qu'un objet à acheminer à bon port qu'il faut bien chercher pour retrouver dans l'image.
Dans les tableaux masculins, on a une représentation exactement inverse : les deux femmes se perdent dans la contemplation de la tête coupée placée au premier plan, ou regardent dans des directions différentes, faisant converger les lignes de la composition vers la tête qui est toujours plus grosse que celle des deux femmes et particulièrement dans le cas du tableau d'Orazio Gentileschi, est placée au centre de l'image, tenue quasiment comme un nourrisson dans ses langes. Bien que le thème soit en principe un hommage à la force de caractère d'une femme qui n'a pas eu peur de risquer sa vie pour abattre un danger public, le personnage principal ne semble pas se trouver spécialement magnifié par ce traitement et la relation entre les deux femmes liées par le danger n'est pas du tout soulignée comme chez Artemisia. En fait ces trois tableaux ont tout faux et sont quasiment hors sujet si on se donne la peine de les analyser vraiment. Ils ont un peu réduit le propos à un sordide fait divers !

6 commentaires:

  1. Bien vu. Très fine analyse.

    "...tenue quasiment comme un nourrisson dans ses langes. " Ahahah! Très juste.

    Non, tu as raison, ce n'est pas un sujet que savent peindre les hommes. Ils le rendent seulement grotesque (rabaissant ainsi les femmes dans un style quasiment "pompier" avant l'heure). Pourquoi? Mais parce que (sujet biblique à part où Judith s'emploie pour son peuple) une femme s'occupe d'elle même et de sa liberté au lieu de révérer le phallus (d'où l'allure de nourrisson dans ses langes de la tête, faut la ramener d'une manière où d'une autre à son rôle assigné, quand même!).

    Sinon, il me semble que ce n'est pas un hasard si, subitement, ce sujet connait une si grande faveur au XVIème siècle, et qu'il est peint principalement pas des femmes, et que celles-ci le traite le mieux. Le début du rationalisme se fait au détriment des femmes qui à la fin du moyen-âge, jouissait encore d'une certaine autonomie, pouvaient exercer nombre de métiers en toute indépendance. C'est un siècle où l'on brûle des sorcières par dizaines de milliers dans toute l'Europe, ou l'Inquisition et son équivalent protestant font des ravages parmi la population féminine, moyens très dissuasifs pour les contraindre à rentrer dans la sphère domestique et à abandonner les terrains professionnels (chirurgiens, médecins, pharmaciens entre autres) aux clercs.

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  2. Très bon travail, grands artistes... rien a dire sur la peinture mais alors, vraiment pas très joyeux !!!!

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  3. A Floreal : absolument exact. Le XVIe siècle, du côté des femmes, correspond bien à ta description.
    Pour l'analyse des tableaux, j'ai oublié de mentionner que dans celui de Fede Galizia, la tête ET la servante regardent tous deux avec admiration la véritable grande figure du sujet : Judith ! Quoiqu'un peintre le fait aussi pour la servante, c'est Cristoforo Allori, voir http://haggadahsrus.com/images2/MurderingMistress13.jpg

    A Fille du midi : à priori, non. Mais prenons l'art contemporain : si on observe attentivement les vomissements provoqués par le trop plein de la société de consommation mis en scène par le japonais Takashi Murakami, dans un style hypercoloré et qui ressemble à du dessin animé pour enfants, il y a quelque chose là-dedans de moins joyeux encore, parce qu'excessivement négatif (diarrhées et vomissements) mais tellement pimpant et fascinant (couleurs acidulées, formes réjouissantes). En fait, comme si toute la société était schyzophrène, en chute libre vers sa propre destruction par l'infantilisme généralisé et sous l'emprise de drogues dures. C'est angoissant au possible ! Alors si on se place de ce point de vue-là, "Judith" fait figure de thème plutôt "bon enfant" !

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  4. super intéressant, d'autant que dans un des 3 tableaux (le 1er des 3), la servante a carrément une tête de monstre !

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  5. A Emelire : tout à fait ! C'est une très mauvaise peinture, en plus. L'art d'Artémisia lui est bien supérieur ! Et j'ai encore remarqué un autre détail : les femmes (Fede et Artimisia, dans le cas présent) peignent la tête d'Holopherne en vert-de-gris de la couleur que prennent généralement les cadavres. Sur les tableaux masculins, la tête est traitée avec une certaine coquetterie et semble avoir, malgré la mort, conserver un beau teint frais de jeune fille...

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  6. Ah, et bien j'ai vraiment cru que cette pauvre Artemisia allait passer aux oubliettes! Merci pour ce post qui lui réattribue une place plus que méritée, vu son talent et son rayonnement européen.

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