vendredi 25 juin 2010

Marguerite de Valois et la loi salique





Pour confirmer ma théorie précédente, voilà deux portraits de Marguerite de Valois dite la reine Margot. Celui du haut est de Francois Clouet, celui du bas et de...."Anonymous".

Je ne peux m'empêcher de rendre ici un hommage à Pierre Bourdeille, seigneur de Brantôme qui vanta dans sa "Vie des dames illustres" les mérites de cette princesse et rédiga à l'occasion un long pamphlet (qu'on devrait bien faire figurer dans les livres d'histoire) contre la loi salique considéré par lui comme absolument inique :

De plus, si elle (Marguerite de Valois) sçait bien parler, elle sçait autant bien escrire. Ses belles lettres, que l’on peut voir d’elle, le manifestent assez ; car ce sont les plus belles, les mieux couchées, soient pour estre graves que pour estre familières, qu’il faut que tous les grands escrivains du passé et de nostre temps se cachent, et ne produisent les leurs quand les siennes comparoistront, qui ne sont que chansons auprès des siennes. Il n’y a nul qui, les voyant, ne se mocque du pauvre Ciceron avecques les siennes familières. Et, qui en pourroit faire un recueil, et d’elles et de ses discours, ce seroit autant d’escole et d’apprentissage pour tout le monde: dont ne s’en faut esbayr; car, de soy, elle a l’esprit bon et prompt, un grand entendement, sage et solide. Bref, elle est vraye reyne en tout, qui meriteroit de regir un grand royaume, voire un empire: sur quoy je feray ceste clisgression. d’autant qu’elle fait à nostre subject.
(…)
Et puisqu’il est juste qu’en Espaigne, Navarre, Angleterre, Escosse, Hongrie, Naples et Sicille, les filles regnent, pourquoy ne l’est-il juste tout de mesmes en France? Car ce qui est juste, il est juste partout et en tous lieux, et le lieu ne fait point que la loy soit juste.


Tant de fiefs que nous avons en France, duchés, comtés, baronnies et autres honorables seigneuries, qui sont quasy, mais beaucoup, royales en leurs droicts et privileges, viennent bien aux femmes et filles, comme nous avons Bourbon, Vandosme, Montpensier, Nevers, Rhetel, Eu, Flandres, Bourgogne, Artois, Zellande, Bretaigne; et mesmes comme Mathilde, qui fut duchesse de Normandie; Eléonor, duchesse de Guyenne, qui enrichirent Henry II roy d’Angleterre; Béatrix, comtesse de Provence, qui l’apporta au roy Louis son mary; la fille unique de Raimond, comtesse de Thoulouse, qui l’apporta à Alfonse, frere de sainct Louis; puis Anne, duchesse de Bretaigne, de frais, et autres: pourquoy le royaume le France n’appelle à soy aussy bien les filles de France?

La belle Galatée, lors qu’Hercule l’espousa après sa conquesle d’Espaigne, ne dominoit-elle pas en la Gaule? du mariage desquels deux sont issus nos braves, vaillans et genereux Gaulois, qui d’autresfois se sont tant faict vanter.

Et pourquoy sont les filles des ducs en ce royaume plus capables de gouverner une duché ou une comté, et y faire justice, qui approchent de l’authorité du roy, plustot que les filles des roys de gouverner le royaume de France? et comme si les filles de France ne fussent aussy capables et propres à commander et regner, comme aux autres royaumes et grandes seigneuries que j’ay nommées!

Pour plus grande preuve de l’abus de la loy salique, il n’en faut d’autre que celle de tant de chroniqueurs, escrivains et bavards, qui en ont escrit, qui ne se peuvent accorder entre eux de son etymologie ny deffinition.

Les uns, comme Postel, estiment qu’elle prit son ancien nom et origine des Gaules, et qu’elle fut appellée salique, au lieu de gallique, pour la proximité et voisinage que la lettre G en vieil moule avoit avecques la lettre S; mais c’est un reveur en cela (comme je tiens d’un grand personnage), ainsy qu’en autres choses.

Jean Ceval, evesque d’Avranches, grand rechercheur des antiquités de la Gaule et France, l’a voulu rapporter à ce mot salle parce que ceste loy estoit seulement ordonnée pour salles et palais royaux.

Claude Seissel, assez mal à propos, a pensé qu’elle vient du mot sal en latin, comme une loy pleine de sel, c’est-à-dire de sapience, par une metaphore tirée du sel.

Un docteur ès droicts, nommé Ferrarius Montanus, a voulu dire que Pharamond fut autrement appelé Salicq.

Les autres la tirent de Sallogast, l’un des principaux conseillers de Pharamond.

Les autres, pensant subtiliser davantage, disent que, par la frequence des articles qui se trouvent dans icelle loy, commençans par ces mots, si aliquis, si aliqua, elle prit sa derivaison; d’autres, qu’elle est venue des François Saliens, comme est faict mention dans Marcellin.

Enfin voylà de grands rebus et reveries; et ne se faut esbayr si M. l’evesque d’Arras en faisoit la guerre à M. le cardinal de Lorraine: ainsy que ceux de sa nation, en leurs farces et jongleries, croyans que ceste loy fust de nouvelle impression, appelloient Philippe de Valois le roy trouvé, comme si, par un nouveau droict et non jamais recognu par la France, il se fust faict roy. (...) Et ne faut doubter que les filles, venans à la couronne, mesmes quand elles sont belles, honnestes et vertueuses comme ceste-cy, n’attirassent plus le cœur de leurs subjects par leurs beautés et douceurs, que toutes les forces des hommes.

(...)

Voyez que dit encor M. du Tillet: «Par la loi salique, escrite pour les seuls subjects, quand il n’y avoit fils, les filles heritoient en l’ancien patrimoine. Qui voudroit regler la couronne, mesdames, filles de France, au deffaut des fils, la prendroient; et néanmoins elles en sont perpetuellemeut excluses par coustume et loy particulière de la maison de France, fondée sur la magnanimité des François, qui ne peuvent souffrir d’estre dominés par les femmes.» Et ailleurs dit: «Il se faut esbahir de la longue ignorance qui a attribué ceste coustume à la loi salique, qui est contraire.»

(...)
Certes, si les femmes savoient manier les armes aussy bien que les hommes, elles s’en feroient accroire, mais, en recompense, elles ont leur beau visage, qu’on ne recognoit pas comme on debvroit; car, certes, il vaut mieux d’estre commandé de belles, gentilles et honnestes Femmes, que des hommes fascheux, fats, laids et maussades, comme jadis il y en a eu en ceste France.

Je voudrois bien sçavoir si ce royaume s’est mieux trouvé d’une infinité de roys fats, sots, tirans, simples, faict-néans, idiots, fols, qui ont esté (ne voulant pourtant taxer nos braves Pharamonds, nos Clodions, nos Clovis, nos Pepins, nos Martels, nos Charles, nos Louis, nos Philippes, nos Jehans, nos Francois, nos Henrys, car ils ont esté trop braves et magnanimes ceux-là: et bien heureux estoit le peuple qui estoit soubs eux), qu’il n’eust faict d’une infinité de filles de France qui ont esté très-habiles, fort prudentes et bien dignes de commander. Je m’en rapporte aux regences des meres des roys comment on s’en est bien trouvé.

Fredegonde, comment administra-elle les affaires de France pendant le soubs-age du roy Clotaire son fils, les administrant si sagement et dextrement, qu’il se vit, avant que mourir, monarque de la Gaule et de beaucoup de l’Allemaigne.

Le semblable fit Mathilde, femme de Dagobert, à l’endroict du roy Clovis deuxiesme, son fils; et, long-temps après, Blanche, mere de sainct Louis, laquelle s’y comporta si sagement, ainsy que je l’ay leu, que, tout ainsy que les empereurs romains se faisoient appeler Augustes, en commemoration de l’heur et prosperité qui s’estoit trouvée au grand empereur Àuguste, aussy toutes les reynes meres anciennement, après le decez des roys leurs marys, vouloient estre nommées reynes Blanches, par une honorable memoire tirée du gouvernement de ceste sage princesse. Encor que M. du Tillet contredit un peu en cela, toutefois je le tiens d’un grand senateur.

Et, pour passer plus bas, Ysabeau de Bavière eut la regence de son mary Charles VI, estant alteré de son bon sens, par l’advis de son conseil; comme aussy fut madame de Bourbon du petit roy Charles VIII son frere, en son bas age; madame Louise de Savoye du roy Francois premier et la reyne mere du roy Charles IX son fils.

Si donc les dames etrangeres (fors madame de Bourbon, car elle estoit fille de France) ont esté si capables de gouverner si bien la France, pourquoy ne le seroient les nostres telles, et ne la gouverneroient aussy bien, et d’aussy bon zele et affection, puisqu’ elles y sont nées et y ont pris leur laict, et que le faict leur touche?

Je voudrois bien sçavoir en quoy nos derniers roys ont surpassé nos trois filles de France dernières, Elizabeth, Claude et Marguerite; que si elles fussent venues à estre reynes de France, qu’elles ne l’eussent aussi bien gouvernée (sans que je veuille pourtant taxer leur suffisance et regence, car elle a esté très-grande et très-sage) aussy bien que leurs freres. J’ay ouy dire à beaucoup de grands personnages bien entendus et bien prevoyans que possible n’eussions-nous eu les malheurs que nous avons eus, que nous avons et que nous aurons encor; et en alleguoient des raisons qui seroient trop longues à mettre ici. Mais voylà, ce dit le commun et sot vulgaire: «Il faut observer la loy salique.» Pauvre fat qu’il est! Ne sçait-il pas bien encor que les Germains, de l’estoc desquels nous sommes sortis, avoient accoustumé d’appeler les femmes à leurs affaires d’Estat, tout aussi bien que les hommes, comme nous apprenons de Tacite? Par là nous apprenons que ceste loy salique a esté despuis corrompue, puisqu’ils les ont senties dignes de commander; mais ce n’est qu’une vraye coustume, et que les pauvres filles, qui estoient foibles pour debattre leurs droicts par la pointe de l’espèe, comme il se debattoit anciennement, les hommes les en excluoient et chassoient du tout. Ah! que ne vivent maintenant nos braves et vaillans paladins de France, un Roland, un Renaud, un Ogier, un Olivier, un Deudon, un Graffon, un Yvon, et une infinité d’autres braves, desquels la profession estoit, et la gloire, de secourir les dames et les maintenir en leurs afflictions et traverses de leurs vies, de l’honneur et biens, pour maintenant combattre le droict de nostre reyne Marguerite! laquelle, tant s’en faut qu’elle jouisse d’un seul poulce de terre du royaume de France, duquel elle est si noblement sortie, et qui possible luy appartient de tout droict divin et humain, (...)

"

9 commentaires:

  1. Votre chronique est très intéressante et particulièrement documentée , où l'on voit bien d'où viennent historiquement les prétendues supériorités masculines !

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  2. Merci frep. En effet, mais le pire est qu'elles s'accompagnent "d'un travail historique de déshistoricisation" (d'après les termes de Pierre Bourdieu) évacuant purement et simplement les femmes.

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  3. Salique, gallique, phallique, je me demande quand même quand je lis ces textes frappants de "modernité" et de considération pour les femmes et leur bon sens, si au XXIème siècle, nous ne sommes pas toujours sous la loi de cet éteignoir que fut pour nous le XIXème siècle ?

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  4. Merveilleux texte de Bourdeille, d'une intelligence rare. Merci pour cette révélation. je ne connaissais pas. On sait donc, par ce genre de témoignage, que, dans l'ombre, une minorité éclairée avait déjà une pensée libératrice. Nous en conclurons que les pouvoirs dominants sont le plus souvent rétrogrades et que le poids de la religion a retenu pour des siècles cette évolution vers la liberté. Elle pèse encore malheureusement partout, pour des raisons économiques bien évidentes aussi... les femmes pourraient bien prendre les postes de ces messieurs lorsque l'égalité sera totale...
    Dommage que les relations entre hommes et femmes soient toujours des relations de rapports de force quand il faudrait qu'ils unissent leurs forces et leurs capacités...

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  5. À Hypathie ; c'est surtout que nous amorcons un retour vers cet éteignoir. Le néo-libéralisme débridé débarrassé de la comparaison avec un régime d'une autre sorte (depuis la chute du Mur) représente le retour en force de la prédation masculine à l'état pure avec son corollaire hypersexiste. Mais certains hommes, minoritaires et surtout isolés, la combattent et la combattront toujours. Le XVIe siècle qui correspond à la naissance du protocapitalisme signe l'arrêt de mort des valeurs féminines. Mais des voix d'hommes tenant à ses valeurs avec la conscience qu'elles sont indispensables à l'humanité, s'élèvent ca et là.
    Brantôme a beaucoup dénoncé les travers des puissants et de son siècle mais on ne l'étudie jamais à l'école.

    A bric à brac Baroque : entièrement exact. En Allemagne, du moins, on a assisté un temps à des débats sur l'aspect destructif du patriarcat et aux moyens de le mettre à bas, auxquels participaient pour moitié les hommes. Mais n'oublions pas non plus les milieux autonomes/anarchistes qui sont des milieux totalement égalitaires (antisexistes) + violemment réprimés.

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  6. "Mais n'oublions pas non plus les milieux autonomes/anarchistes qui sont des milieux totalement égalitaires (antisexistes)"

    mouaif, bcp de "milieux" qui se prétendent "antisexistes" le sont de leur manière (tel le milieu animaliste, par ex) - je ne sais pas si "milieu anarchiste" il faut entendre le milieu libertaire mais par ex de nombreux textes libertaires sont ouvertement pro-pornographie...

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  7. Anarchiste je fus, anarchiste de coeur je suis toujours, mais pas avec ces messieurs qui de toute façon cherchent toujours à tenir la barre, même quand ils ne l'ont déjà plus entre les mains... je cherche donc l'organisation la plus proche de ce que je sens (Mélenchon, ou Besancenot sont sans doute pas trop mal en ce moment...mais...)
    bref... j'ai écrit un article là dessus, sur ma fréquentation des anars dans les années 70... et je passe mon temps à chercher l'organisation où le narcissisme de ces messieurs serait un peu moins prononcé. Pour l'instant, malheureusement, je n'ai pas trouvé. Mais je continuerai ce combat. J'ai écrit des chansons de libération à l'âge de 17 ans, je leur suis très fidèle. Vous pouvez en écouter quelques-unes sur mon blog, dans "écrits" je crois, je ne sais plus...

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  8. A Michelle : j'ai eu l'occasion de passer quelques jours avec des autonomes de tous pays, des autonomes d'aujourd'hui dont la moyenne d'âge est de 25 ans. Après avoir été en contact avec leur mentalité et pu observé leur mode de fonctionnement, je me suis dit : respect. Aucun groupe social ne leur arrive à la cheville question esprit d'égalitarisme et de solidarité.

    A bric à brac baroque : les anarchistes facon années 70 ne sont pas comparables à ceux d'aujourd'hui mais je vais écouter tes chansons. Ca m'intéresse. J'aime les chansons de jeunesse auxquelles on est resté fidèle. C'est sympa, je trouve !

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  9. J'ai suivi votre conseil et je suis venue voir votre article très instructif... (je ne savais pas que selon les historiens, il y avait tant d'avis différents sur un même sujet...). Merci de votre visite sur mon modeste blog que je viens de commencer depuis peu. J'ai parcouru le votre et je le trouve passionnant et très riche en connaissances historiques.
    Cordialement
    Une "Fille du Midi" du blog "provence.intemporelle"

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