L'été vient de s'installer, la chaleur est accablante, la nuit apporte peu de fraîcheur et la sourde angoisse liée au sinistre réchauffement climatique se mêle à quelques tracas marginaux pour m'empêcher de sombrer tout à fait dans les bras de Morphée. Tout à coup des voisins insomniaques brisent le silence : tambourinements et cris. Que se passe t-il ? Rien. Le silence est déjà revenu. Je n'ai plus envie de dormir. Je me lève en repensant au beau poème sur l'antithèse du sommeil et de la mort de Catherine des Roches (1542-1587) :
Antithèse du somme et de la mort
Rien n'est plus différent que le somme et la mort,
Combien qu'ils soient issus de même parentage ;
L'un profite beaucoup, l'autre fait grand dommage,
De l'un on veut l'effet, de l'autre on craint l'effort.
Une morte froideur qui descend du cerveau
Nous cause le sommeil, une fièvre brûlante,
Qui éteint les esprits par son ardeur nuisante,
Nous cause le trépas et nous met au tombeau.
Le somme va semant de roses et de lis
Les beaux traits délicats d'une plaisante face,
Et l'effroyable mort, dans l'horrible crevasse.
D'un sépulcre odieux les tient ensevelis.
Le soleil respirant mille petits zéphirs
Caresse doucement le dormant en sa couche,
Et la mort ternissant une vermeille bouche,
Étouffe pour jamais ses gracieux soupirs.
Après un long sommeil l'homme se sent dispos,
Pour aller au Palais, à la cour, à la guerre ;
La mort ronge au suaire, en la bière, en la terre,
Et, meurtrière, corrompt les nerfs, la chair, les os !
Le soleil et sommeil ont presque mêmes noms,
Mêmes effets; aussi l'un vous donne la vie,
L'autre empêche que tôt elle ne soit ravie,
La couvrant, curieux, dessous ses ailerons.
Ô gracieux sommeil, riche présent des Dieux !
Tu ne pouvais loger en une part plus digne
Que celle que tu tiens, puisque l'âme divine
A sa demeure au chef et sa fenêtre aux yeux.
Ne m'abandonne point, ô bienheureux sommeil,
Mais viens toutes les nuits abaisser la paupière,
De ma mère et de moi ; fais que la nuit dernière
Ne puisse de longtemps nous fermer le soleil !
Ainsi soit pour jamais le silence sacré
Fidèle avant-coureur de ta douce présence ;
Ainsi l'ombreuse nuit révère ta puissance,
Ainsi les beaux pavots fleurissent à ton gré.
Sommeil et mort.
RépondreSupprimerMe demandant un jour pourquoi les lits d'antan étaient si courts, j'ai lu que les gens dormaient assis car la position couchée équivalait à celle de la mort.
Vrai? Cela m'a semblé plausible...à vous aussi?
J'ignorais l'existence de cette poétesse, merci!
A colo : non je ne crois pas que les gens (nos ancêtres) dormaient assis mais ils surélevaient parfois le buste avec des amoncellements de coussins jusqu'à paraître dormir assis. Les lits étaient courts parce que les gens étaient beaucoup plus petits. Ils ne dormaient surtout jamais seuls pour des raisons de chaleur et de sécurité et parfois un peu n'importe où pour ceux qui dormaient sur des paillasses (la majorité). Mais la peur de la mort était forte, en effet, d'autant qu'elle survenait plus facilement et inexplicablement qu'aujourd'hui.
RépondreSupprimerCela me fait plaisir qu'un traducteur de poésie, comme vous, dédie un commentaire à cette oeuvre !
Beau poème que je découvre ici, merci Euterpe.
RépondreSupprimerLe sommeil m'avait finalement ravie quand, au milieu de la nuit dernière, les sirènes des pompiers ont réveillé le quartier. Il a fallu une heure pour éteindre le feu mis à un conteneur dans la cour de l'école voisine - une vengeance? De quoi faire basculer la nuit vers l'angoisse, voilà à quoi je pensais en lisant Catherine des Roches :
"Ainsi soit pour jamais le silence sacré
Fidèle avant-coureur de ta douce présence ;
Ainsi l'ombreuse nuit révère ta puissance,
Ainsi les beaux pavots fleurissent à ton gré."
A Tania ; oui, qu'est donc devenu le silence sacré ? Aujourd'hui le sommeil nous est sans cesse ravi par son absence. Je trouve que le poème de Catherine des Roches est un poème du passé qui éclaire notre présent.
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