lundi 23 juillet 2012

Contraception, avortement, virginité et jalousie des hommes du XVIe siècle envers les "gynécologues"

D'après l'anecdote de Brantôme que je transcris plus bas dans ce billet, la contraception ainsi que l'avortement n'étaient pas étrangers au XVIe siècle. Pour ce qui est de l'avortement, il ne semblait guère soulever de débat éthique comme c'est le cas aujourd'hui où nous sommes bientôt plongé.e.s dans une guerre civile entre "pro vie" et "pro choix". Le foetus de cette époque n'apparaît en rien comme un chrétien dont il faudrait sauver le corps et l'âme et seul l'enfant déjà né semble être considéré comme une personne humaine (l'Église avait apparemment d'autres chats à fouetter, pas comme aujourd'hui).
L'avortement n'est donc pas perçu comme un crime sauf celui de tromperie quand l'avortée se remarie en ayant "réparé" sa virginité à l'aide du même médecin qui l'a fait avorter.
Ces pratiques (avortement + réparation de la virginité) permettant d'être très proches de l'intimité féminine, elles paraissent avoir déclencher un violent sentiment de jalousie auprès des profanes de la médecine dont Brantôme et Ronsard. Apparemment les médecins profitaient parfois des jeunes filles qu'ils soignaient avant d'aller effectuer des prières de repentance à Rome ou à Genève (capitale du calvinisme).
Il est à noter que dans sa description de l'interruption de grossesse, Brantôme se soucie surtout de savoir si la patiente souffre ou non (ce qui me le rend assez sympathique) et si l'opération laisse des traces.   
 

"J'ai connue [une] fille, qui certes méritait d'autres assaillants ; et fut après bien mariée ; et telle qu'on la donna pucelle, telle la trouva t-on. En quoi pourtant je trouve qu'elle fut bien fine : car, puisqu'elle ne pouvait tenir son eau, elle s'adressa à celui qui lui donnait les antidotes pour engarder d'engrosser, car c'est ce que les filles craignent le plus ; dont en cela il y en a de si experts qui leur donnent des drogues qui les engardent très bien d'engrosser ; ou bien, si elles engrossent, leur font écouler leur grossesse si subtilement et si sagement que jamais on ne s'en apercoit, et n'en sent-on rien que le vent ; ainsi que j'en ai ouï parler d'une fille, laquelle avait été autrefois nourrie fille de la feue reine de Navarre, Marguerite première. Elle vint par cas fortuit, ou à son escient, à engrosser, sans qu'elle y pensa pourtant. Elle rencontra un sublin apothicaire qui, lui ayant donné un breuvage, lui fit évader son fruit, qui avait déjà six mois, pièce par pièce, morceau par morceau, si aisément qu'étant à ses affaires jamais elle n'en sentit ni mal ni douleur ; et puis après se maria galantement, sans que le mari y connut aucune trace. Quel habile médecin ! Car on leur donne des remèdes pour se faire paraître vierges et pucelles comme devant [avant], ainsi que j'en ai allégué au chapitre des cocus, et un que j'ai ouï dire à un empirique ces jours passés : qu'il faut avoir des sangsues et les mettre à la nature, et s'en faire par là tirer et sucer le sang, lesquelles sangsues, en suçant, laissent et engendrent de petites ampoules et fistules pleines de sang ; si bien que le galant mari, qui vient le soir des noces les assaillir, leur crève ces ampoules dont le sang en sort, et elle s'ensanglante, qui est une grande joie à l'un et à l'autre ; et par ainsi l'onor della citadella é salvo [l'honneur de la citadelle est sauf]. Je trouve ce remède bon et souverain, s'il est vrai, et, s'il n'est bon, il y en a cent d'autres qui sont meilleurs, ainsi que le savent très bien ordonner, inventer et appliquer ces messieurs les médecins, savants et experts apothicaires. Voilà pourquoi ces messieurs ont ordinairement de très bonnes et belles fortunes, car ils savent blesser et remédier, ainsi que jadis fit la lance de Péleus [Pelée*]. 
J'ai connu cet apothicaire dont je viens de parler ast'heure, duquel faut que je dise ce petit mot en passant, que je le vis à Genève la première fois que je fus en Italie, parce que pour lors ce chemin par là était commun pour les Français, et par les Suisses et Grisons, à cause des guerres. Il me vint voir à mon logis, soudain je lui demandai ce qu'il faisait en cette ville, et s'il était là pour médiciner les belles filles, comme il avait fait en France. Il me répondit qu'il était là pour en faire la pénitence. "Comment ! (ce dis-je) est-ce que vous n'y mangez de si bons morceaux comme là ? - Ha ! Monsieur (me répliqua-il), c'est parce que Dieu m'a apellé et que je suis illuminé de son esprit, et que j'ai maintenant la connaissance de sa sainte parole. - Oui (lui dis-je), et de ce temps-là si étiez-vous de la religion, et si vous mêliez de médiciner les corps et les âmes, et prêchiez et instruisiez les filles. - Mais, Monsieur, je reconnais ast'heure mieux mon Dieu (répliqua-il encore) qu'alors, et ne veux plus pécher". Je tais force autres propos que nous eûmes sur ce sujet, tant sérieusement qu'en riant ; mais ce maraud jouit de ce beau con, qui était bien plus digne d'un galant homme que lui. Si est-ce que bien lui servit de vider cette maison de bonn'heure, car mal lui en eût pris.
Or, laissons cela. Que maudit soit-il, pour l'haine et envie que je lui porte, ainsi que M. de Ronsard parlait à un médecin qui venait plutôt voir sa maîtresse soir et matin pour lui tâter son tétin, son sein, son ventre, son flanc et son beau bras, que pour la médiciner de la fièvre qu'elle avait ; dont il en fit un très gentil sonnet, qui est dans son segond livre des Amours, qui s'accomance :

Hé ! que je porte et de haine et d'envie
Au médecin qui vient soir et matin,
Sans nul propos, tâtonner le tétin,
Le sein, le ventre et le flanc de ma mie".


(Il faut dire que les médecins étaient loin de jouir d'une aura aussi respectable qu'aujourd'hui).


Fichier:Eucharius Rösslin - Der schwangeren Frauen und Hebammen Rosengarten.jpg

(Texte tiré des "Dames galantes" de Brantôme ; illustrations tirées de Der schwangeren Frauen und Hebammen Rosegarten (Le jardin de roses des femmes enceintes et des sages-femmes) d'Eucharius Rösslin, 1513. Ill.1 parturiente sur une chaise à accoucher en forme de "U" ; ill.2 positions de jumeaux dand l'utérus)

* Mythologie grecque : lorsque Thétis épouse Pélée, il reçoit en cadeau de Chiron une lance fabriquée par ses soins, dont hérite Achille avant de partir à la guerre de Troie. Cette lance, faite pour la main d'Achille et qu'il est le seul à pouvoir brandir, est celle qu'il utilisera pour guérir Télèphe en enlevant la rouille.

4 commentaires:

  1. Ton billet a un côté réjouissant, humain. Trucs et tromperies, complicités. merci Euterpe.

    Je viens de lire que l'avortement, qui est tout à fait autorisé en Espagne en cas de malformation du fœtus, notre charmant ministre de la santé le remet en question, veut l'interdire!!! Retour au Moyen âge español?

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  2. A Colo : oui j'avoue que Brantôme m'est assez sympathique. Et puis le XVIe siècle c'est une époque qui est comme ça, très chaleureuse même la cruauté est chaude (d'ailleurs on dit "tuer à la chaude"^^). Notre monde à nous est très aseptisé à côté (esprit aseptisé, coeur aseptisé, naissance aseptisée, mort aseptisée,etc).
    La remise en question de l'avortement en Espagne ne sert peut-être qu'à provoquer une polémique qui empêche que l'on s'occupe de régler des problèmes beaucoup plus brûlants. C'est un petit peu partout la nouvelle tactique politicienne pour ne rien faire.

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  3. Pour info, Saint Augustin, grand ami des femmes, avait calculé que le foetus garçon recevait son âme à 40 jours et le foetus fille à 80 jours ! On ne fait pas plus sexiste ! C'est ta remarque sur l'avortement qui m'y a fait penser.
    Remarque sur le commentaire de Colo : effectivement, le gouvernement Rajoy est en train de s'attaquer aux acquis des espagnoles et remet en question le libre choix des femmes (plus facile à faire que de remettre sur pied un pays plombé par un immobilier sans foi ni loi dû à Franco et son héritage).
    Aussi, pour soutenir les espagnoles, on peut aller signer sur le rétrolien :
    http://www.change.org/es/peticiones/pide-al-ministro-de-justicia-que-no-reforme-la-ley-del-aborto
    Derecho a decidir !

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  4. A Hypathie : sur l'âme oui, il y a toutes sortes de calculs à la noix plus sexistes les uns que les autres chez les pères de l'Église et Cie. Et sur l'avortement l'Église n'a fait que changer d'avis comme de pape. http://www.gallican.org/avortmen.htm
    Mais dans la réalité, les femmes ont toujours avorté quelles qu'aient été les positions de l'Église et des Écritures. Maintenant les gouvernements se substituent aux saints Augustin et autres illuminés. C'est tragique.
    Merci pour le lien, je vais illico signer !

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