mercredi 8 septembre 2010

Madeleine Boursette : libraireresse, imprimeresse, éditrice*


L'emblème avec la devise "Sicut elephas sto" (Comme l'éléphant, je m'impose) fut celui de la librairie (imprimerie, édition) L'Éléphant dirigée par Madeleine Boursette, initiales M B, également lisibles sur l'enseigne, à Paris, rue St-Jacques.

Dans la même rue se remarquaient d'autres enseignes de librairesses : Le Soleil d'Or de Charlotte Guillard (v. 1480-1557) qui publia 160 titres (livres de droit romain, écrits de pères de l'Église), La Licorne de Yolande Bonhomme (morte en 1556) qui a permis à son fils, Jacques Kerver, de devenir célèbre alors que les ouvrages publiés lui ayant valu cette célébrité l'ont été en collaboration avec celle qui n'est plus, désormais, pour la postérité, que la mère de son fils.


Madeleine Boursette, veuve du célèbre Francois Regnault mort en 1541, reprend la librairie fondée par son mari et s'oriente vers la publication de poèmes dont ceux de Clément Marot et de Marguerite de Navarre. Sa fille Barbe Regnault puis sa petite-fille Madeleine Berthelin lui succèdent, permettant à l'activité de se maintenir après 1545 jusqu'en 1665 au-delà de la mort de leur mère et grand-mère.
La dynastie fondée par la librairesse Francoise Louvain perdurera plus longtemps encore. Lui succèderont sa fille Marie Langelier et sa petite-fille Francoise Patelé. Les livres sont vendus dans la cour intérieure du palais de Justice de Paris: "premier pillier de la grand'salle" (c'est l'adresse officielle). Parmi eux : les oeuvres des dames des Roches (voir Catherine des Roches), de Madesleine de Laubépine, de Marie Le Gendre et de Marie de Gournay.
A la base de cette librairie/imprimerie/édition il y a le célèbre Abel L'Angelier, philogyne notoire, qui publia un anonyme "Discours en la faveur des Dames contre les mesdisans".
La dynastie s'éteindra avec la mort de Francoise Patelé (1602-1684).
D'autres noms de librairesses nous sont parvenus : Barbe de Mascon, Jeanne Trepperel (qui publiait entre autres Christine de Pizan), Marie Atteignant, Denise de Marnef suivie de sa fille Denise Girault.
La vision des femmes de l'Ancien Régime cantonnées aux tâches domestiques dans le cadre du foyer est donc tout à fait démentie par leur présence incontestable dans la sphère commerciale.
Elles étaient fort nombreuses dans l'édition mais aussi dans le petit commerce et dans des secteurs tels que le vêtement et l'alimentation.
Mais si leurs activités dans les strates inférieures du petit commerce paraissaient tout à fait acceptées et reposaient largement sur leur initiative personnelle, leur place dans le grand commerce leur était échue avant tout pour des raisons familiales.
Yolande Bonhomme était fille d'imprimeur avant de passer le flambeau à son fils. Il en va donc de l'imprimerie presque comme de la peinture. Je dis bien presque. Car le nom de ces artisanes est du moins parvenu jusqu'à nous. Ce n'est pas le cas de ces légions de peintresses qui non seulement sont restées désespérément anonymes mais dont les oeuvres vont jusqu'à porter la signature d'un homme. Leur père, peut-être leur mari, et, pourquoi pas? leur fils. Il faut dire que le prestige de peintre se vole avec moins de scrupule que celui de libraire !
(*éditrice dans le sens de directrice de maison d'édition, c'est à dire directeure puisqu'il paraît qu'éditeur et éditrice d'aujourd'hui n'ont pas la même fonction. Je vous laisse deviner laquelle est assujettie à l'autre...).

10 commentaires:

  1. Superbe article qui détruit bien des clichés, dont celui de la femme de l'Ancien Régime confinée aux seules tâches domestiques! Merci :-)

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  2. Tout à fait intéressant et même plus que cela, une renaissance des femmes dans l'histoire...
    Quel métier fais-tu pour être aussi pointue sur ce sujet... tu peux me répondre, si le coeur t'en dit, dans ma messagerie privée sur mon blog...
    A bientôt
    Bettina

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  3. A Céline : oui, ce sont des clichés qui nous permettent de croire que nous nous sommes beaucoup affranchies depuis l'Ancien Régime. En réalité, les femmes se sont toujours affirmées comme elle pouvait quand elles en avaient l'occasion. Elles ont toujours été inventives, combattives et...actives !

    A Bettina : je travaille dans le domaine historique et j'en profite pour divulguer ce que l'on ne divulgue guère publiquement : ce que fabriquait l'autre moitié de l'humanité qui n'est jamais prise en compte dans les livres d'histoire !

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  4. Merci Euterpe, c'est bien intéressant.
    Ne pas figurer dans les livres d'histoire ne signifie rien, en effet....y figurer non plus d'ailleurs...parfois je ris en pensant au nombre de "pâles figures" remplies de défauts et manquant de panache qui y figurent.
    Vivre caché(e) a des avantages aussi.

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  5. Oui, bien d'accord avec Colo aussi..
    Très bien,Euterpe, c'est en tout cas toujours très intéressant ce que tu nous révèles en peinture ou dans l'édition, l'imprimerie, la vie sociale tout court...
    Merci pour ces recherches "pointues"!

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  6. A Colo : vivre caché(e), je ne dis pas. Mais c'est le partage des honneurs posthumes qui est à revoir !

    A Bettina : merci mais, en fait, il ne s'agit que d'une exhumation de base.
    Ces recherches ont l'air d'autant plus pointues qu'une poignée de personnages, toujours les mêmes, bouchent tout l'horizon culturel et monopolisent toutes les célébrations. Sans quoi elles ne le paraîtraient pas. La réalité historique est masquée par la culture officielle, finalement.

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  7. Toujours de bons articles et de jolis croquis...

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  8. Merci Fille du Midi. Je te retourne le compliment pour tes articles qui sont si clairs et instructifs sur l'histoire du Midi !

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  9. Très intéressant et ça rejoint ce que j'ai déjà remarqué pour les éditrices de musique et surtout les graveuses de partitions. D'ailleurs le seul article dû à une femme dans l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (je ne pense pas me tromper, j'ai bien cherché d'autres) est celui de gravure musicale.
    Je te cite:
    "Mais si leurs activités dans les strates inférieures du petit commerce paraissaient tout à fait acceptées et reposaient largement sur leur initiative personnelle, leur place dans le grand commerce leur était échue avant tout pour des raisons familiales".
    Pas de problèmes là, c'était pareil pour des tas de garçons qui reprenaient l'entreprise familiale.
    C'est ce que je réponds à ceux qui me disent, "les femmes qui travaillaient alors étaient les filles et les veuves" (comme si ça diminuait leur mérite). Eh bien pour les garçons, c'étaient les fils et les beaux-fils (éventuellement veufs un jour!)
    Le travail des femmes souffre de visions distordues. Notamment, il apparaît qu'à la fin du 19e, 75% des femmes en France étaient au travail. La femme au foyer, c'était un "idéal" d'accession à la bourgeoisie. Et c'est surtout au 20e que ça a coincé, entre ce soi-disant idéal mis de plus en plus en pratique, en partie parce que la classe moyenne a explosé, et parallèlement l'entrée massive de femmes diplômées sur le marché du travail, faisant concurrence aux hommes (eux aussi de plus en plus nombreux à obtenir des diplômes).
    A bientôt Euterpe!
    Florence ex Armande

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  10. A Florence : en fait, j'ai traduit l'extrait que tu cites de ce livre : Margarete Zimmermann, "Salon der Autorinnen. Französische « dames de lettres » vom Mittelalter bis zum 17. Jh." (Berlin 2005) sans m'interroger plus avant sur le sens de la phrase parce que je blogue parfois un peu vite, n'ayant pas vraiment le temps. Mais tu as absolument raison ! Il n'y a pas de différence avec les hommes dans le cas d'une entreprise familiale ! L'éternel problème est celui de la "commémoration" au sens large. Pour la postérité, on ne retient jamais que les hommes.

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