samedi 2 juillet 2011

"Incontinence et impudence" ou quand un satyre qui avait du pouvoir a fini par se faire tout bonnement assassiner

"L'incontinence d'un Duc et son impudence pour parvenir à son intention, avec la juste punition de son mauvais vouloir" c'est le titre de la XIIe nouvelle de l'Heptaméron de Marguerite de Navarre.
Un duc florentin de la famille des Médicis (un homme de pouvoir, donc) marié, certes, mais infidèle, se met à convoiter une femme vertueuse qui n'est autre que la soeur de son bras droit et gérant de sa maison. Le duc s'ouvre à ce gentilhomme subalterne et lui exprime le voeu de posséder sa soeur (à la soeur, on ne pose pas de question. Il s'agit d'une sorte de droit de cuissage, il faut l'accord du proprio, c-à.d. l'homme de la famille et à défaut du père, il s'agit du frère). Le frère de la jeune fille est choqué et refuse de se faire complice d'une entreprise malhonnête mais le duc le menace à mots couverts de mort s'il n'obtient de sa soeur qu'elle se soumette aux désirs de son maître. Le gentilhomme ne souhaitant pas sacrifier sa soeur ni jeter le déshonneur sur sa famille se résout à assassiner le duc avant de s'enfuir en Turquie pour y refaire sa vie.

Les commentaires de la nouvelle qui suivent cette narration mettent à jour le fait que la vertu féminine est un puissant excitant sexuel pour l'homme (voir aussi le billet de Kalista sur Lucrèce) et qu'il n'hésite pas à rendre la femme responsable de ce désir alors même qu'elle ne souhaite pas le susciter :

Homme n°1 (qui a conté cette histoire) dit :"Voilà, mesdames, qui doit bien vous faire craindre ce petit dieu (le désir ? Le pénis ?), qui prend son plaisir à tourmenter autant les princes que les pauvres, et les forts que les faibles, et qui les aveugl[e] jusqu'[à] oublier Dieu et leur conscience et à la fin leur propre vie. Et doivent bien craindre les princes et ceux qui sont en autorité de faire déplaisir à moindre qu'eux (...).

Traduction : attention, femmes, aux petits tyrans qui ne craignent rien ni personne et aiment user du pouvoir de faire impunément du mal à autrui.

(...) les uns soutenaient que le gentilhomme avait fait son devoir de sauver sa vie et l'honneur de sa soeur,[tous] d'avoir délivrer sa patrie d'un tel tyran. (...) [Cependant] les dames disaient qu'il était bon frère et vertueux citoyen ; [tandis que] les hommes au contraire, qu'il était traître et méchant serviteur. Mais les dames (...) disaient que le duc était si digne de mort que bien heureux était celui qui avait fait le coup. Parquoi voyant [Homme n°1] le grand débat qu'il avait ému, leur dit : Pour Dieu, mesdames (...) gardez que vos beautés ne fassent point faire de plus cruels meurtres que celui que j'ai conté.

Traduction : quand même ! Assassiner un duc ! Attention, femmes, de ne pas éveiller le désir chez les puissants au cas où cela ferait un grabuge tel que des hommes seraient amenés à s'entretuer (très pratique à suivre comme recommandation vu que les hommes sont à priori responsables de leur désir, non ?).

Femme n°1
[réplique] : "La Belle Dame sans Merci" nous a appris à dire que si grâcieuse maladie ne met guère de gens à mort !"

Traduction : allons, allons ! En principe le désir ne tue personne !

- "Plût à Dieu, madame, ce lui dit [Homme n°1], que toutes celles qui sont en cette compagnie sussent combien cette opinion est fausse ! Et je crois qu'elles ne voudraient point avoir le nom d'être sans merci, ni ressembler à cette incrédule qui laissa mourir un bon serviteur par faute d'une grâcieuse réponse".

Traduction : faux car "il y a eu mort d'homme" en cette occurence et tout ca parce que la dame a été sans pitié, au lieu que si elle avait été moins revêche et plus complaisante, il n'y aurait pas eu de problème. (Quelle pimbêche ! Elle a éveillé le désir du fait de sa vertu et finalement cette vertu c'était juste de la rigidité mal placée puisqu'un meurtre a eu lieu à cause d'elle ! (Il n'est donc plus question de la tyrannie du duc ? C'est la mauvaise volonté féminine qui est en cause maintenant ?).

- "Vous voudriez donc dit [Femme n°1], pour sauver la vie d'un qui dit nous aimer, que nous missions notre honneur et notre conscience en danger ?"

Traduction : il faut donc se prostituer pour avoir la paix ou quoi ?

- "Ce n'est pas ce que je vous dis, répondit {Homme n°1], car celui qui aime parfaitement craindrait plus de blesser l'honneur de sa dame qu'elle-même (.........)"

Là Homme n°1 est parti dans une théorie tarabiscotée que je ne transcris pas intégralement, mais destinée à faire croire que le duc n'était pas mal intentionné puisqu'amoureux, alors qu'il s'agissait bien de désir purement sexuel en réalité puisque l'homme n'a même pas daigné s'enquérir de la réciprocité de son désir. Les femmes ne sont pas dupes :

- "Toutefois dit [Femme n°2], si est-ce toujours la fin de vos oraisons, qui commencent par l'honneur et finissent par le contraire. (...)".

Traduction : vous essayez toujours de nous faire croire que les hommes respectent l'honneur des femmes qu'ils convoitent tout en finissant par dire l'inverse.

- [Homme n°2] jura, quant à lui, qu'il n'avait jamais aimé femme, hormis la sienne (...). Autant en dit [Homme n°3] (...). [Homme n°4] lui dit : (...) mais quant à moi je puis vous jurer que j'ai tant aimé une femme que j'eusses mieux aimer mourir que pour moi elle eût fait chose dont je l'eusse moins estimée. (...).

Du coup la moitié des hommes de l'assemblée se récrient vite fait qu'ils sont archi fidèles (aimer et coucher ont l'air d'ailleurs synonymes dans leur propos) et ne veulent pas être comparés à ce duc éhonté. Homme 4 trouve l'attitude de la femme inattaquable et n'en attend pas moins de la sienne.

[Homme n°5] se prit à rire en disant : "[Homme n°4], je pensais que l'amour de votre femme et le bon sens que vous avez vous eussent mis hors de danger d'être amoureux, car vous usez encore des termes dont nous avons accoutumé de tromper les plus fines et d'être écoutés des plus sages. (...)"

Traduction : homme n°5 les trouve tous plus ou moins faux-jetons et trouve que la palme revient à Homme 4 qui flatte la vertu féminine, manière de s'exprimer typique d'après lui de la faux-jetonnerie caractéristique des maris volages.

- "Vraiment, dit [Homme n°4], je vous pensais autre que vous ne dites, et que la vertu vous fût plus plaisante que le plaisir".

Homme n°4 ne se laisse pas faire (soit il est sincère soit il ne veut pas être mal vu par les dames). Il défend son point de vue sur la vertu en se montrant étonné que Homme n°5 puisse se montrer aussi cynique.

- "Comment ! dit [Homme n°5], est-il plus grande vertu que d'aimer, comme Dieu le commande ? Il me semble que c'est beaucoup mieux fait d'aimer une femme comme femme que d'en idolâtrer plusieurs comme on fait d'une image. et quant à moi, je tiens cette opinion ferme qu'il vaut mieux en user que d'en abuser".

Homme n°5 dit estimer que la vertu c'est bien beau mais qu'il vaut mieux palper du tangible que d'admirer des images de loin.

Les dames furent toutes du côté de Homme n°4 et contraignirent Homme n°5 de se taire - (...)

La franchise de homme n°5 concernant l'adultère ulcère les femmes. Homme n°5 se plaint alors d'être mal traité.

- "Votre malice, lui dit Femme n°3, est cause de [ce que l'on vous traite mal], car qui est l'honnête femme qui vous voudrait pour serviteur après les propos que vous nous avez tenus ?"

Traduction : quelle femme souhaiterait être courtiser par vous quand vous annoncez si ouvertement trouver honnête de la tromper selon votre bon plaisir ?

- "Celles qui ne m'ont point trouvé fâcheux, dit [Homme n°5], ne changeraient pas leur honnêteté à la vôtre mais (...) n'en parlons plus".

Traduction : quoi que vous en disiez, vous n'êtes pas plus honnnête que celles qui m'ont accordé leurs faveurs.

Dans une assemblée où les femmes ont le même droit à la parole que les hommes et ne sont pas minoritaires (ici toutes ne prennent pas la parole) et où il est question d'abus de pouvoir à l'égard d'une femme (et collatéralement d'un homme), on constate que les hommes s'efforcent de s'entendre avec les femmes quitte à leur mentir (à une exception près) pour leur complaire.
Dans les débats télévisés auxquels nous assistons relativement à l'affaire DSK, il s'y trouve immanquablement une majorité d'hommes et les une femme et demi en présence sont souvent triées sur leur propension à adopter le discours masculin. Les médias nous servent donc des débats à fort taux de testostérone à croire que la société ne comprend pas ou peu de femmes qui pensent autrement que les hommes sur les rapports hommes/femmes.

Dans l'Heptaméron, la mauvaise foi masculine, la propension à rendre coupable les femmes de leurs frasques à eux sont tempérées par une solidarité féminine qui frappe d'autant plus que dans les médias actuels où la parité est volontairement évitée, elle n'est guère visible.

6 commentaires:

  1. Euterpe, je vous admire d'arriver à lire et à traduire des textes anciens mais ô combien d'actualité ! Je vous soupçonne quand même un peu de ne pas les choisir au hasard ! lol
    Rien n'a donc changé ,et l'actuelle "affaire DSK" en est un bien triste exemple avec son discours ambiant sur les pauvres puissants victimes de ces femmes de chambre aguicheuses guinéennes et pauvres ..toutes les tares en un mot !
    Les commentaires machistes , les défenseurs du fort et de l'oppresseur me donnent la nausée !
    La femme n'aurait donc pas été violée car elle "aurait" menti sur la date d'entrée de droit d'asile ! C'est un peu (et même beaucoup) le raisonnement que les médias essaient de nous vendre avec la complicité de beaucoup de ces machos de service mais aussi , vous avez raison de quelques femmes dont la classe sociale et le pouvoir les prédispose à entrer dans le "jeu" malsain des hommes .
    Auparavant les médias nous décrivaient la femme de chambre comme une "belle et grande" femme , sous-entendu , s'il lui est arrivé quelque "broutille" c'est qu'elle l'a bien cherché , la tentation était trop grande pour le pauvre DSK !

    Mais j'ai lu une réflexion sur un blog qui a bien résumé la question :"en Amérique on peut donc violer une menteuse en toute impunité" .

    Il n'y a pas qu'en Amérique , en France aussi!
    Femmes du monde entier , déguisez-vous en sacs à patates , mettez de fausses moustaches , laissez-vous pousser une toison hirsute , puez des pieds comme les hommes sinon vous ne pourrez jamais porter plainte pour viol !

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  2. A coup de grisou : pour le choix du texte : je ne peux rien vous cacher!;)
    Pour la traduction, bof : j'aime ca !:) Ce que j'apprends avec ce genre de sauts dans le temps c'est l'obstination avec laquelle certains comportements se maintiennent ! Au moins on peut dire que l'évolution promise n'est absolument pas au rendez-vous et que les puissants trouvent autant normal aujourd'hui qu'hier d'abuser de leur pouvoir, en particulier sur les femmes. Pour se protéger du viol, je crois même que sac à patates, puanteur, etc... ne suffisent pas. Quand il s'agit de violer + de culpabiliser de son viol la personne violée, on trouve toujours des arguments.
    Pour le mensonge sur le droit d'asile, on nous a déjà fait le coup avec Ayaan Hirsi Ali lorsque les Pays-Bas ont voulu se débarrasser d'elle. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Ayaan_Hirsi_Ali#Controverse_sur_sa_demande_d.27asile) Presque tous les immigré.e.s très motivé.e.s (et particulièrement les femmes) de se trouver une terre d'asile sans courir le risque d'un refus en passant par les voies légales, ont falsifié quelque chose. C'est une question de survie et n'importe qui aurait fait la même chose à leur place. C'est donc salaud de les attaquer là-dessus!

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  3. C'est salaud, comme tu dis, de les attaquer sur des mensonges de survie (soit dit en passant pour échapper à la cruauté d'un société bâtie par des hommes ...), mais c'est surtout MALHONNETE.

    @ Coup de grisou

    "en Amérique on peut donc violer une menteuse en toute impunité" .

    Je garde ! On peut violer une menteuse, une prostituée, une libertine (puisqu'elle passe sa vie en s'envoyer en l'air ...), une joggeuse (on l'avait pourtant prévenue ...), etc.

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  4. A Hélo : je viens de lire les commentaires sur ce blog http://aliciabx.blogspot.com/2011/07/et-si-dsk-saute-une-femme-de-chambre.html, au moins on n'est pas les seul.e.s à être indignés !

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  5. ben oui, le troussage de soubrette ? ben, alors... t'es pas passée par chez moi ?

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  6. A lucia mel : j'ai du quitter Paris le 22 au matin, pile le jour de ton concert:( J'ai beaucoup regretté mais je n'avais pas le choix : le timing ne collait pas ! Je ferais mieux la prochaine fois, promis !;)

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