dimanche 6 mai 2018

68 en Allemagne / LA TOMATE / Sigrid Rüger

Sigrid Damm-Rüger figure marquante de 68 née et morte à Berlin (1939-1995) est tombée avec d'autres dans les oubliettes du château-fort culturel masculin.

Parenthèse : La société patriarcale se garde bien d'entretenir le souvenir d'actions féminines sauf exceptions "prouvant" au monde que TRÈS EXCEPTIONNELLEMENT la bestiole femelle rejoint l'humain-homme supérieur. Car d'après je ne sais plus quel machiste célébré par la mâlitude pour sa grande sagesse (hahaha) le chat (la chatte ?) parvient aussi de temps en temps à se mettre sur ses deux pattes de derrière !

Bref, donc Sigrid Damm-Rüger fut une activiste féministe allemande qui s'illustra pour avoir mitraillé un homme de tomates pendant la 23e conférence à Francfort-sur-le-Main des délégués du SDS dont elle était membre.

Cela se produisit le 13 septembre 68, deuxième jour de la conférence qui devait durer cinq jours.

Parenthèse sur le SDS : le SDS ou Union socialiste allemande des étudiants est une formation issue du mouvement étudiant allemand créé d'abord comme syndicat indépendant proche du parti socialiste, puis indépendant du SPD et représentant la nouvelle gauche ouest-allemande (opposée au nucléaire et au réarmement).

Le SDS joue un rôle important dans les événements de 68 en Allemagne. Rudi Dutschke en fit une organisation anti-autoritaire proche des idées anarchistes et sans affinité aucune avec le socialisme d'Allemagne de l'Est. Très offensif contre la ligne néo-capitaliste suivie par la RFA, le SDS fut longtemps une épine dans le pied du gouvernement qui l'interdit en 1970.

Membre féminine très célèbre du SDS : Ulrike Meinhof et moins célèbres mais un peu quand même : Susanne Kleemann, Karin Struck, Helke Sander cette dernière ayant joué un rôle de premier plan dans l'affaire "tomate".

   

H.-J. Krahl, 3e en partant de la gauche (celui qui rit à gorge déployé)

On voulait ENFIN METTRE L'ÉMANCIPATION DES FEMMES À L'ORDRE DU JOUR, dira Sigrid Rüger quelques décennies plus tard pour expliquer son geste.

Jamais le problème de l'oppression des femmes n'était abordé en conférence. Helke Sander qui n'était pas encore une cinéaste renommée venait ce jour-là de faire un discours ne figurant certes pas au programme mais qui aurait tout de même pu soulever un débat puisqu'il traitait du cas particulier des femmes dans la lutte des classes. Pendant le discours il y eu des rires et quelques applaudissements mais par la suite le fil du programme fut repris comme s'il ne s'était rien passé. Ce fut insupportable à certaines femmes dont Sigrid Rüger.
Pendant le pause de midi, elle alla acheter un kilo de tomates à 70 pfennigs la livre et le montra à Helke Sander.

Hans-Jürgen Krahl la grande vedette du SDS, un ancien élève de Theodor Adorno traité par ce dernier comme son égal, parce que doué, très cultivé, orateur hors pair avec une mémoire d'éléphant, ce qui ne l'empêchera pas de mourir en 1970 dans un accident de voiture à l'âge de 27 ans, reprend le micro sans la moindre allusion au discours de sa prédécésseuse. Rüger l'interrompt et dit : "Est-ce qu'il t'est déjà arrivé de t'interroger sur le rôle des femmes ?" Krahl rit et répond : "Je vais y réfléchir". Puis il poursuit son discours entamé sans plus s'occuper de l'intervention de Rüger. Rüger l'interpelle à nouveau:




"Vois-tu, camarade Krahl, tu n'es rien d'autre qu'un contre-révolutionnaire et pire encore : un agent de l'ennemi de classe !". Sander ajoute : "Si le SDS n'est pas prêt à discuter du sujet du rôle des femmes il a mérité d'être traité comme il traite l'establishment". Là-dessus Rüger jette trois tomates (d'après le magazine Stern) une livre complète (d'après Sander) sur Krahl. Une le touche (d'après Spiegel, deux d'après Stern). Une femme s'interpose. Ines Lehmann. Dans un article paru en 2008 elle explique que le SDS avait plus d'importance pour elle que les revendications de Rüger et Sander. D'ailleurs l'affaire du lancer de tomates a signé le fin du SDS, d'après elle. Le patriarcat a malheureusement ses affidéEs.

Le silence se fait. Puis un énorme tumulte s'en suit. Les délégués hurlent.
Krahl essaie de poursuivre son discours. Ines Lehmann, alors activiste du SDS à l'affût de la moindre critique contre l'organisation, après s'être interposé entre Krahl et les tomates, prend le micro et accuse Rüger et Sander d'être des sécessionnistes.
La journaliste et écrivaine Hazel Rosenstrauch prend le micro à son tour pour défendre Rüger et Sander et critiquer Lehmann.
Dans l'après-midi, Rüger forme un groupe féminin effectivement sécessioniste : le "Weiberrat" (littéralement "le conseil des bonnes femmes"). Il s'y joint très vite trop de femmes. Les discussions personnelles sont rendues impossibles par le nombre et les nouvelles venues se sentent mises de côté. Il est donc dissout peu de temps après (hiver 68/69). Mais il s'en reformera un autre par la suite.  

C'est ainsi que le lancer de tomate de Sigrid Rüger marqua le début de ce que l'herstoire appelle en Allemagne (de l'ouest)la 2e vague féministe.
Plus haut Sigrid Rüger, aujourd'hui / Ci-dessus Sigrid Rüger à l'époque.


 Helke Sander pendant son discours féministe du 13.9.68 devant le SDS


Depuis ce jour, la tomate est devenue l'arme par excellence du féminisme allemand qui permet à la fois aux femmes de se faire entendre et de faire taire le bavardage masculin incessant qui ne nous concerne pratiquement jamais. 

Les féministes allemandes demandent de continuer à lancer des tomates.




"Continuez à lancer la tomate !"
Traduction de l'affiche : "du lancer de tomate au quota de femmes"


Le texte de cet article est en partie traduit de ce lien


2 commentaires:

  1. Je l'ai partagé sur Twitter ! J'espère qu'il fera des émules en France. Contente que tu republies :)

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  2. Merci ! ;)
    Twitter a bien fait de me bloquer finalement. Cela m'a fait retrouver l'inspiration perdue qui me faisait tenir ce blog.

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