vendredi 1 février 2013

Christina Schettinger, Elisabeta Gaßner (Gasnerslisel), Friderike Louise Delitz, Schleiferberbel, etc..,

Elles passent pour avoir été les pires canailles des 18e/19e siècle en Allemagne.
Soit elles-mêmes filles de bandites, soit mises au ban de la société pour, par exemple, avoir eu une grossesse sans père, elles ont été vouées à une délinquance plus ou moins précoces et ont consacrées leur, souvent, courte vie à la rapine.
Certaines ont fini pendues, d'autres brûlées.

Heiner Boehncke et Bettina Hindemith ont écrit un livre sur elles qui s'intitulent
"Die grosse Räuberinnen" (Les grandes bandites)

Dans le Wurtemberg, où agissaient la plupart de ces femmes, plus de 100 000 personnes vivaient en dessous du seuil de pauvreté à cette époque. La plupart des professions de la classe inférieure étaient itinérantes : réparateurs de pots cassés, soldats, marchands ambulants et plus déshonorant (si) : comédiens, musiciens, mendiants. Le taux des femmes était de 54 à 63,5 %. Dans les montagnes (du Voralberg en pays souabe), ce taux atteignait les 2/3 pour les femmes. On a écrit les pires choses sur elles parce que c'était des femmes. Les hommes qui se sont taillés une réputation dans le banditisme ont toujours été regardés avec une certaine admiration mais il en a été tout autre des femmes contre lesquel les préjugés ont toujours joué négativement.
Comme dit la critique d'art souabe Monika Machniki, elles ont été ou bien romantisées ou bien discriminées.

En réalité, on pense qu'elles ont été généralement les plus exploitées et les plus malheureuses en sein des bandes de voleurs. Quand elles n'ont pas été contraintes à la prostitution, elles ont été utilisées comme des chevaux de trait qui portaient les charges sur leur dos, exposées à des hommes brutaux et alcooliques, débarquées dès qu'elles devenaient revendicatrices ou simplement vieilles.
On n'a cependant retrouvé aucun témoignage écrit de ces femmes.
Seuls des hommes ont déposé des témoignages si bien que leur rapport sur les femmes nous apparaît déformé par leur angle de vue forcément partial.
"L'histoire d'une bandite" paru en 1787 à Stuttgart et écrit par Jakob Friedrich Abel fait le portrait de Christina Schettinger, pendue en 1760. Abel, professeur de philosophie à Stuttgart, fut l'un des chefs de file de "l'antiféminisme bourgeois", qui de la fin du 18e s. aux années 20 du 19e siècle ne fit que se servir de compte-rendu sur  les "horribles femmes" de la Révolution francaise pour nourrir sa haine des femmes.
La "liste des voleurs d'Oberdischingen", établie sous le duc Friedrich von Württemberg comprend les noms de 1487 personnes, dont 503 femmes, 3 d'entre elles ont moins de 20 ans, 21 % ont entre 20 et 30 ans, 35,5 % ont entre 30 et 40 ans, 19,2 % entre 40 et 50 ans, 5,4 % entre 50 et 60 ans, moins de 2 % entre 60 et 70 ans, plus de 2% sont seulement désignées comme "vieilles", 13,9 % sont sans indication d'aucune sorte sur l'âge, 1 seul cas présente une date de naissance complète. On en conclut que plus de 54 % des femmes à la rue à la fin du 18e/début du 19e s. avaient entre 30 et 50 ans. Moins du tiers de la liste était mariées. Pour le reste, elles sont décrites comme suit : "humaine", "partenaire de lit", "acolyte", "concubine", "femme de rechange", "dessous de lit", "commère" ou "camarade". Moins de 11% ont un métier accolé à leur nom. 42 noms sont associés à des ventes de marchandise comme briquets, étoffes, onguents et pommades, images, sucreries, argenteries, volaille et poutres. Pour certaines, il est écrit : fabricante de boîtes en papier, fabricante d'amulettes, brodeuse de coiffes, imprimeuse sur drap, servante, soldate et musicienne de rue. Une femme gagne sa vie avec le trafic du tabac, l'autre promène une boîte à images stéréo. Deux vivent du tricot. Entre la réalité et la légende sur ses femmes qui ont survécu dans des bandes criminelles, il y a un gouffre. La poésie populaire et la littérature est loin de la réalité. La majorité d'entre elles n'étaient ni jeunes ni belles. Leur visage était souvent couvert de cicatrices et "moucheté" ce qui prouvait qu'elles avaient surmonté quelque maladie infectieuse grave. Elles étaient dévorées par la vermine, et en cas de maladie, dépendantes de la mendicité ou de la solidarité de groupe. Pourtant il semble toujour que l'on attachait énormément de valeur à décrire leur apparence extérieure. Buzeliese-Amie, par exemple, est décrite comme "très cultivée, charnue au toucher", Christina Schettinger obtient le qualificatif "de bien formée". Ce genre de formulations devaient conférer aux femmes des qualités érotiques pour les faire passer pour des séductrices. Au 18e s., on pensait que l'apparence extérieure, en particulier la physiognomie, déterminait le caractère de la personne. Il fallait dont décrire l'apparence de ses femmes.

L'essentiel de leurs délits étaient le vol dans les marchés = 26 % de la "liste d'Oberdischingen", 16 % sont diversement classifiées. 6 % sont accusées de mendicité. Moins de 6% étaient des coupe-bourse . 4 femmes ont participé à l'attaque d'une diligence. 3% sont accusées du délit de prostitution. Ce qui prouve que l'image que donne la littérature de femmes qui auraient prêtées leur corps à toute la bande de voleurs et auraient vécu en grande promiscuité est fausse.
Le plus curieux est que pour 165 femmes sur les 503 qui figurent sur la liste, on ignore pourquoi elles s'y trouvent. On ne nomme aucun délit en ce qui les concerne. Il semble que les indications comme "cheveux roux" ou "accompagne son mari" aient suffi. On s'attend presque à lire des indications comme "n'a pas intérêt à voler" ou "pour le moment, on ne peut rien dire de mal d'elle".
Être femme et ne pas avoir de logement suffisait pour se retrouver sur l'une de ces listes.
Dans les affaires de vol à la tire, les femmes semblaient autonomes dans le plan et la réalisation des délits. Il s'en suit que dans la 1re moitié du 18e s., au sein de plusieurs bandes, c'était les femmes qui commandaient comme Elisabetha Frommerin qui fut exécutée en 1732. Son champ d'action était les foires et les marchés autour du lac de Constance depuis Dinkelsbühl au nord jusqu'à Schaffenhausen à l'ouest, de Buchloe à l'est jusqu'à Einsiedeln et Chur au sud. Elle "était la cheffe indiscutable des hommes, des femmes et des enfants de sa bande car pour la lutte pour la survie, tous profitaient de son expérience." À la même période, il y eut la vieille Cullin, une "fausse postière", qui commandait une compagnie de 17 personnes en 1728 agissant avec des fausses lettres et des faux incendies. Andreas Blauert (historien du crime) définit ces bandes comme des "communautés de survie", dans lesquelles les femmes jouaient le rôle centrale et les hommes restaient en marge. Mais il ne s'agissait pas là d'un programme ou d'une "stratégie féminine". C'était du à la forme de vie nomade, qui obligeait à de fréquentes séparations des couples. Les femmes prenaient en charge la fonction de base du ravitaillement du groupe. Plus grand était son succès pour l'économie de la bande, plus la dominance des femmes au sein du groupe était assurée. Elles s'occupaient de faire en sorte que la bande survive jusqu'au lendemain et ainsi de suite. Ce phénomène était aussi du au fait que ces bandes entraînaient quantité d'enfants avec soi à entretenir.
Mais aujourd'hui, on parle encore parfois de certaines de ces voleuses avec effroi comme si les femmes étaient plus effrayantes en criminelles que les hommes parce que femmes.
Monika Machniki titre un article ainsi "Elle portait un pied de biche sous sa jupe", oui mais s'en est-elle servi ?"
A propos d'une bandite célèbre dont on disait qu'elle portait un pied de biche sous sa jupe.

(source)
Die großen Räuberinnen

14 commentaires:

  1. Moi, j'ai un pied de biche dans mon sac ! Je suppose donc que cela ne plaide pas en ma faveur :D
    Quitte à faire bandites, voleuses de grand chemin, ou délinquantes, autant se constituer en groupe de femmes ; autrement, on traîne encore avec soi la domination masculine, même si certaines réussissent à tirer leur épingle du jeu (selon ton billet) en réussissant à imposer leur autorité. Enfin , moi, c'est ce que je pense.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La situation économique est différente. Aujourd'hui, en Allemagne, ce sont surtout des retraitées qui deviennent délinquantes. De vieilles femmes isolées cambriolent de temps en temps des banques. Ayant souvent trimées toute leur vie, elle se retrouvent avec des retraites qui leur permettent à peine de vivre.

      Ce phénonème est si peu rare qu'un film a été tourné en 2000 mettant en scène trois octogénaires en train de cambrioler une banque. Une comédie très réussie qui continue aujourd'hui à avoir du succès.

      Supprimer
  2. Il me semble que je préférerais jouer la monte en l'air en solitaire...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je comprend mais ce n'est pas possible quand on est sans logis. Ici, on a affaire de gens qui n'ont pas de toit. Le groupe a une utilité protectrice.

      Supprimer
  3. Rien à voir mais c'est l'actu:
    http://www.sudouest.fr/2013/02/02/quand-les-soirees-etudiantes-derapent-954064-2780.php#xtor=EPR-260-[Newsletter]-20130202-[zone_info]

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah ouais, c'est surprenant et inquiétant ! En tout cas, cela n'a pas encore touché l'Allemagne d'après ce que j'en sais.
      C'est indigne de proposer des boissons à des filles qui se déshabillent ! Je trouve que cela devrait être légiféré. On dirait une incitation à la prostitution.

      Supprimer
  4. Rien à voir avec le sujet du billet mais je me demandais si vous aviez déjà parlé de cette femme ? http://www.programme-tv.net/programme/culture-infos/3948836-lise-meitner-mere-de-la-bombe-atomique/#!

    RépondreSupprimer
  5. Mince, c'était un lien vers un documentaire sur Lise Meitner, diffusé ce soir sur Arte.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Cela ne fait rien, j'ai lu sa bio sur Wiki, du coup. Merci beaucoup.

      Supprimer
  6. J'aime beaucoup cette vidéo d'une dame, ni jeune ni mince, courant, et qui réussit à mettre en fuite, à faire arrêter des voleurs de bijoux...le monde à l'envers.
    http://tu.tv/videos/anciana-detiene-ladrones-de-joyas

    Voleuses ou "arrêteuses" de voleurs, des héroïnes????

    Sinon, ici, beaucoup de femmes commettent de menus larcins pour survivre, elles et leurs familles. Souvent les supermarchés ferment les yeux si c'est du riz, des lentilles....
    Belle semaine Euterpe.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ah oui, pas mal ! J'espère qu'elle a au moins eu droit à une rolex gratuite pour son geste ! ;) Car les héroïnes qui se font rire au nez, ne sont pas rares...
      Les voleuses le sont rarement par esprit criminel. On constate que parmi elles il y a surtout des très jeunes filles ou des très vieilles car ce sont les plus fauchées, malheureusement.

      Supprimer
  7. Bonjour Euterpe,

    je suis en retard mais avez vous
    déjà parlé de la Reine,
    je veux dire Phoolan Devi
    la "Reine des Bandits" ?
    Elle si fascinante et qui a
    dit si justement quelque chose comme
    il n'y a que les pauvres eux mêmes
    pour parler authentiquement des pauvres car il n'y a
    que les pauvres pour connaitre les pauvres.
    Vos chroniques sont toujours aussi intéressantes,
    à plus.

    RépondreSupprimer
  8. Ah non, je ne la connaissais pas ! Merci Lucno de me l'avoir signalée et merci pour vos encouragements !

    RépondreSupprimer