dimanche 21 novembre 2010

Comment on continue à jeter virtuellement au feu les sorcières

Une figurante de cinéma que j'ai rencontré sur le tournage d'Anonymous vient de m'envoyer ce clip auquel elle a participé.




Je ne crois pas que j'en aurais fait de même à sa place car il s'y agit une fois de plus d'un exemple d'érotisation d'un crime dirigé contre la partie de l'humanité à laquelle j'appartiens. Comme dans le cas de la série télévisée "The Tudors", on est dans l'esthétisation de l'abject. Soit on fait du bourreau qui tue avec la plus grande cruauté un bel héros sexy dans un univers de luxe surranné alléchant, soit on érotise la victime sur le point de mourir injustement dans d'atroces souffrances, à l'aide d'une chansonnette sadico-lascive et d'un décor gothico-baroque teintés de morbidité.

On imagine difficilement la déportée de camp de concentration dans sa chambre à gaz rendant sa chair désirable en prenant des pauses, sous la fausse douche au Zyclon B. Et aucun petit malin avide de faire de l'argent avec de la souffrance, se ruer sur ce thème la bouche en coeur. Le feu, les chaînes, la robe décolletée et l'air libre, c'est plus "hot" que le carrelage éclairé au néon avec un corps dépouillé de tout, cheveux et fausses dents comprises.

Et puis on érotise mieux des victimes sur lesquelles pèsent cinq cents ans de silence.


Ci-dessous : un extrait (tronqué) de „Charles Quint et la monarchie universelle“ par Annie Molinié-Bertrand et Jean-Paul Duviols (!) :

"Les traités de démonologie parus au cours des XVe et XVIe siècle mettent la femme à l'index en répandant le stéréotype de la sorcière. (...) Le „Malleus maleficarum“ écrit par deux dominicains est, parmi d'autres, un ouvrage qui aura une grande influence sur les Inquisiteurs.

Selon le Malleus, la femme est inférieure par sa faiblesse d'intelligence. Perverse, elle l'est par nature, par une inclination excessive au vice de la chair qu'Eve lui aurait transmise. Dans cet ouvrage, le féminin domine, terrasse le masculin ; les auteurs parlent de l'hérésie des sorcières, les sorciers étant pratiquement absents de la scène. (...)

"Mais si la femme est si souvent impliquée par le regard d'un groupe, n'est-ce pas parce qu'elle est souvent mise à l'écart par son sexe, son âge, ses occupations ; parce qu'elle est la conservatrice des cultures archaiques, parce qu'elle est le noyau de résistance à des cultures sexuelles oppressives ?" (Pierre Chaunu, 1969 (cité à l'intérieur du texte)).

Au XVIe siècle, la plupart des sorcières du diocèse de Cuenca (où eut lieu un célèbre procès de sorcières) sont des sages-femmes : sur trente-cinq femmes accusées de pratiquer la sorcellerie, vingt-cinq pratiquent régulièrement des accouchements. Rien de surprenant si dans la 2e partie du "Malleus maleficarum", les auteurs se demandent comment les sages femmes sorcières infligent de plus grands maux aux enfants. Il s'agit de la sorcière tueuse d'enfants que nous retrouvons à Cuenca dans les procès du XVIe siècle. Accoucheuses, guérisseuses, veilleuses de morts, les femmes détiennent un pouvoir qui échappe aux hommes.(...)La femme est reléguée au second plan dans une société où l'homme est le détenteur du pouvoir, mais cela ne signifie pas pour autant que ses occupations sont sans importance. (...) Les procès inquisitoriaux montrent que bon nombre de femmes ont un statut spécifique au sein de leur communauté; leurs voisins quel que soit leur niveau socio-économique, acceptent leur autorité et la réalité de leurs pouvoirs "surnaturels". Ils les craignent mais ils les fréquentent, leur donnent ce qu'elles leur demandent "pour ne pas qu'elles leur fassent du mal". Les sorcières dans le diocèse de Cuenca, semblent toutes avoir un profil similaire : exclusivement des femmes, d'âge avancé, pauvres, veuves, de niveau socio-économique bas, dans la plupart des cas, échappant au pouvoir patriarcal. (...)".

21 commentaires:

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  2. Courageusement anonyme ou pas, tout message insultant sera supprimé. Que l'auteur du message ci-dessus se le tienne pour dit.

    La sous-culture ou "culture pop" n'est aucunement la chasse gardée de ce genre de commentateur.

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  3. Bonjour Euterpe,

    Sur les procès en sorcellerie, il faut néanmoins tenir compte de la grande variété géographique.
    Par exemple Alfred Soman, qui s'intéresse aux procès de sorcellerie en appel au parlement de Paris, montre qu'au contraire, il y a plus d'hommes que de femmes incriminés dans cet espace. Et que le Parlement de Paris est plus sévère avec les hommes qu'avec les femmes.

    Comme quoi, parfois :)

    l'article qui est un aperçu de son livre paru en 1992, est ici :
    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1977_num_32_4_293855


    Sur le clip : il est bien évidemment affligeant de bêtise et de vulgarité.

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  4. Ah et puis, je me suis permis d'expliquer votre interprétation de "the Tudors" à pas malde gens qui trouvent cette série inconditionnellement géniale : une fois qu'on reprend vos arguments (en vous citant dûment), ils finissent par ce rendre compte que si cette série a des mérites, ce n'est pas NORMAL de faire d'Henri VIII un jeune sexy et sympa.

    Alors merci :)

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  5. C'est culturel ce genre de tropisme de l'espèce humaine : la femme victime est un objet érotique (en d'autres termes, ça fait b..der les mecs, ce que montre le film) ; la femme de tête qui se sort bien de la situation est elle repoussante ; c'est avec des romances pareilles qu'on nous opprime et qu'on nous nie. Et certaines femmes gobent le truc avec une facilité déconcertante. "All witchcraft comes from carnal lust, which is in women insatiable" : Toute sorcellerie vient du désir sexuel qui chez les femmes est insatiable" ! Une pure diffamation. In Malleus Maleficarum cité dans Beyond God the Father de Mary Daly que je lis en ce moment.

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  7. A Anonyme : ton anonymat est très relatif puisqu'étant passé par là : http://blog.plafonddeverre.fr/post/Epididyme-d-Or-de-Novembre pour venir ici, tu es donc un troll d'Olympe. A dégager, donc.

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  8. A Artémise : il me faut citer un extrait de la lettre ouverte de Francoise d'Eaubonne à Jean-Paul II à propos de son livre "Le sexocide des sorcières" : "Sexocide est le mot juste puisqu'il s'agit, sous prétexte de sorcellerie, d'une misogynie frappant tout un sexe tenu pour responsable du péché originel, comme les Juifs le furent pour la mort du Christ : misogynie portée au paroxysme par les écrits des Pères de l'Église autant que par les brillants théologiens que furent Tertullien et Origène. Les insultes et les anathèmes de cette tradition où brillent Thomas d'Aquin, Jean Chrysostome et Saint Jérôme entre tant d'autres docteurs préparèrent de longue date cette «chasse aux sorcières» qui fut avant tout une « chasse aux femmes » plus qu'à la sorcellerie, puisque ainsi que le dit le Malleus (Maleficarum) de Kramer et Sprenger, « les sorciers sont peu de chose ».

    Néanmoins merci pour pour la propagation de mes arguments contre la série "The Tudors" ! Cela me fait très plaisir !:-)

    A Hypathie : ah merci ! oui c'était le gros préjugé de l'époque et maintenant encore : la pub ne présente que des femmes qui ont l'air de supplier qu'on les b...e ! Il faut croire que l'idée n'est pas encore vraiment morte.
    "Beyond God the Father"...cela a l'air très intéressant. J'espère que tu nous en parlera sur ton blog ! ;)

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  10. A Anonyme : tes lecons ne m'intéressent pas plus que celle que tu reconnais avoir donnée chez Olympe. Quitte ce blog. Merci.

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  11. Ici, au Pays Basque, nombre de femmes ont été accusées de sorcellerie dans les villages parce qu'elles chantaient, dansaient, les cheveux détachés, simplement parce qu'elles avaient l'air trop libres, hein... (je résume) ou trop sexy, on dirait de nos jours^^.

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  12. Euterpe,

    Sur la misogynie, je suis bien évidemment d'accord. En revanche, les archives montrent parfois une réalité différente de ce qu'on pouvait imaginer. Sur les sorcières, par exemple, ça se vérifie.

    Angèle,
    Sans vouloir casser l'image romantique de la sorcière (propagée par les films et les romans, ou le clip ci-dessus), en général, il s'agissait plutôt de femmes assez âgées, pauvres, à l'écart de la communauté pour une raison x ou y. Le pouvoir de la "mauvaise réputation", en somme... La jeune sorcière qui danse dans la lumière, c'est une proportion infime.

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  13. @ Angèle et Artémise : des femmes libres à libre parole, libre disposition de leur corps, ce qui constitue toujours une provocation pour l'ordre masculin, et bien sûr des femmes plutôt ménopausées effectivement donc vieilles, considérées moins sous l'influence des hommes et des hormones ;
    @ Euterpe : on va voir pour Mary Daly, c'est tentant mais c'est de la philo, et c'est coton ! :))

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  14. De tout coeur avec toi Euterpe, surtout que mon arrière-grand-mère, fille mère engrossée par un ruffian de la haute qui n'a pas reconnu sa progéniture, était traitée de sorcière encore au début du XXème siècle, disons "guérisseuse" au mieux, parce que, sans doute, elle n'était d'aucune classe, exclue par son propre clan, et pas reconnu par l'autre... ce qui justifie mon propos constant sur l'exclusion, et ma propension à m'exclure moi-même de ce monde "excluant".
    L'érotisation de la femme qui souffre est un "poncif" constant de l'imagerie littéraire ou télévisuel (ce qui n'a pas été mon choix justement en réaction), et le film policier fait jouir le spectateur aujourd'hui du découpage en morceaux des femmes, ou du sein enduit de sang, de l'oeil froid, figé, de la belle qui vient de se faire violer.

    Insupportables images d'une société entrée en décadence...
    de tout coeur avec toi dans tes analyse. Chassons l'anonyme odieux de ton blog, je ne sais pas ce qu'il a pu dire, mais ça devait être salé!
    A bientôt, avec d'autres histoires de sorcières, car je me vante d'être l'arrière petite-fille inspirée de ma "sorcière" d'aïeule, pauvre femme abandonnée! Et j'en suis fière!

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  15. je suis du même avis que toi, je le ressens pareil, concernant cette esthétisation, comme par hasard quand il s'agit de faire mal aux femmes.

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  16. A Angèle : oui c'est vrai, Floréal l'a mentionné sur ce blog. Avant cela, je n'en avais pas entendu parler. Cela fait penser aux personnages d'Esmeralda et de Folon dans "Notre-Dame de Paris" créés par Victor Hugo. Il nous montre la beauté, la santé, la joie de vivre, la liberté et la grâce jalousées par un bigot rongé par la culpabilité et incapable de jouir de la vie en toute innnocence. Il doit donc assassiner l'objet à la fois de son désir et de sa jalousie. V.H. exprime à merveille ce phénomène.

    A Artémise : il y a toutes sortes d'archives. Celles de Genève ne sont pas celles de Cuenca ni de Saint-Pée-sur-Nivelle (600 procès en sorcellerie, c'est ce dont parle, en fait, Angèle) et ne relatent pas les mêmes événements. Il y a eu un tas de raisons de brûler des femmes. Il y eut aussi des jeunes filles de couvent ayant été violées par des prêtres et dites possédées du diable par ces mêmes prêtres pour masquer leurs viols. C'est un TRÈS vaste sujet !:)

    A Hypathie : je te fais tout à fait confiance pour rendre clair et accessible ce qui ne l'est pas forcément pour tout le monde ! ;)

    A Bettina : oui, tout à fait ! Tout et n'importe quoi furent prétexte à déclarer une femme sorcière. Aujourd'hui c'est p... A peine tu mets le pied à l'école que l'on te traite déjà de p. là où au XVIe siècle tu te faisais traiter de sorcière.
    Tu as bien raison d'être fière d'avoir une ancêtre assez libre pour avoir suscité la jalousie des gros coincés !
    Anonyme vient d'un billet d'Olympe où le pseudo le moins crétin parmi ceux choisis par une bande de petits malins qui se sentent agressés par l'Epididyme d'Or qu'elle décerne chaque mois est: "MaleDominant". Tu peux voir le niveau. Heureusement il y a assez d'hommes gynéphiles et dignes de respect dans le monde pour que je n'ai pas à me sentir obligée de discuter avec des abrutis.

    A Emelire : c'est obscène, n'est-ce pas ? Comme si un bûcher n'était rien qu'un charmant fond de scène !

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  17. Correctif : Esmeralda et Frollo (et non pas Folon) !

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  18. Votre parti pris (me semble-t-il) de ne retenir que les cas où les femmes sont victimes ou puissantes, bref où les femmes sont au centre, me mets un peu mal à l'aise. Je trouvais le propos d'Artémise intéressant précisément parce qu'il replaçait vos exemples dans un contexte plus complexe.
    Démarche féministe ou démarche historienne, comment vous situez-vous? (désolée de vous poser la question mais ça me titille, même si j'apprécie la culture qui ressort de votre blog)

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  19. A la Souris des archives : vos questions sont légitimes et je vous remercie de me les avoir poser.
    Comme je consacre ce blog "aux femmes perdues dans l'espace-temps", j'exhume de l'Histoire les femmes dont on ne parle pas, même si j'aime aussi mettre en exergue les hommes gynéphiles et ayant pratiqué une opposition active à l'oppression féminine. Dans le cas de la chasse aux sorcières, il est certain que des hommes, des prêtres, des enfants et même des animaux ont été persécutés, mais il ressort tout de même dans l'ensemble des recherches faites sur ce thème, je ne l'invente pas, que les femmes pauvres, seules, vieilles et savantes étaient majoritairement l'objet de ces persécutions. Artémise ne conteste pas cela. Cependant il y a eu des cas de très jeunes nonnes, de juives, de gitanes, que sais-je et ainsi Angèle n'a pas tort non plus. Mais je vais faire une autre entrée sur le sujet pour mettre ce phénonème plus en lumière.

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  20. "posées"...et non "poser". Toutes mes excuses, je suis un peu surmenée.

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  21. Les hommes représentent environ 20% des victimes à ce qu'il semble.
    L'âge des victimes féminines a été très variable. Celles d'un Pierre de Lancre étaient très jeunes, parfois des gamines. Dans le cas, célèbre, des sorcières de Triora, il ne s'agit pas de vieilles femmes.
    La plupart sont pauvres et d'extraction populaire, et la majorité sont des "herboristes", comme on les dénomme dans les minutes des procès, des sages-femmes ,possédant un savoir, des connaissances, des techniques, des recettes traditionnelles et populaires en la matière.
    On pourrait dire que leur sort est un "exemple dissuasif" pour les femmes des classes plus aisées qu'une certaine autonomie tenterait.
    Cependant, il arrive qu'elles appartiennent à la bourgeoisie. En tel cas, cela crée des remous dans cette classe quand elle se sent menacée, ses pratiques commerciales se trouvant dévoilées. C'est observable dans le cas de dame Franchetta dans le procès de Triora.
    Dans le cas de femmes appartenant à cette classe, instruites et non illettrées, c'est leur indépendance financière et leur autonomie par rapport au pouvoir masculin auquel elles échappent qui les rend suspectes.

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