samedi 29 septembre 2012

Une promesse de strip-tease ou quand la publicité s'empare de la subversion féminine pour l'exploiter et l'anéantir

On a vu qu'à travers les âges l'action de se dénuder les seins servit au moins une femme à la fois, soit à déjouer des intrigues fomentées contre elle, soit à affirmer sa liberté individuelle, soit à affirmer sa gynilité, soit à protester contre une morale dont elle ne voulait plus. Un jour tout a changé et durablement. Ce jour-là, les seins nus sont devenus synonyme de la promesse d'un strip-tease. Les seins nus sont devenus ce qu'ils n'étaient pas auparavant : l'expression de la servitude volontaire. Que dis-je l'expression ? Sa proclamation pure et simple.

Au début des années 1980 : stupeur totale ! une équipe occulte d'inconnus payés par une agence de pub fabriquent de toute pièce une femme pseudo-rebelle qui s'adresserait personnellement aux passants pour les avertir de ses actions de déshabillage à venir. Une strip-teaseuse raccoleuse s'affiche hors des bars spécialisés avec un look "nature" à la Uschi Obermaier mais qui vous fixe en rigolant droit dans les yeux (U.O. ne rigole sur aucune de ses photos pour le magazine allemand "twen" (1959-1971).

La femme "libérée" de 1968 pervertie en femme publique de papier est née.
Eric Hélias, codirecteur de création de l'agence Young & Rubicam
dit de cette opération : "C'est la pub parfaite" (lire ici).

Le 31 août 1981, dans les rues de Paris et de 6 villes de province (de plus de 500 000 habitants), 900 grandes affiches 4 par 3 sont collées à une hauteur qui empêche absolument d'échapper au regard scrutateur de l'exhibitionniste de papier et de ces avertissements datés.

La publicité fait de la publicité pour la publicité en inventant le concept de la strip-teaseuse amatrice qui aguiche la population comme si cette population était tout entière un homme et de plus un intime.
La femme des mouvements de libération de la femme des années 60/70 est kidnappée et mise au turbin et nous assistons à à la plus grande truanderie psychologique de toute l'histoire du patriarcat. 

À l'époque, des associations montent au créneau. A Lille, l'association "Du côté des femmes" dépose plainte pour "outrage aux bonnes mœurs, atteinte à la dignité des femmes et incitation au voyeurisme". Le 5 septembre, le tribunal de Lille condamne l'afficheur à recouvrir partiellement ou totalement les affiches, à l'initiative de Pierre Mauroy, alors maire de la ville.


A Paris, l'association "Choisir la cause des femmes", dirigée par Gisèle Halimi,  tente en vain de convaincre l'Assemblée Nationale de la nécessité de voter une loi antisexiste. Yvette Roudy, alors ministre socialiste des Droits de la femme, s'insurge dans les médias contre ce qu'elle considère à juste titre être "une instrumentalisation du corps de la femme et une atteinte à sa dignité". Et Pierre Berville, le directeur artitisque de la campagne de réagir : "...Myriam est un pur produit de 1968 (sic), elle a une relation parfaitement saine avec son corps, la nature, un rapport totalement déculpabilisé à la nudité... Son côté sportif, mince et musclé désamorce tout le côté douteux, voire "glauque", qui pourrait être reproché à l'affiche". 
Bien entendu, il ne parle pas des "promesses" que fait par affiche interposée le "pur produit de 68" parce que dénuder une femme à la vue de tous pour un produit publicitaire même si ce produit publicitaire est la publicité elle-même est déjà du sexisme en soit, mais nous faire croire que cette femme n'est pas dénudée par la publicité, que c'est elle qui fait de son plein gré l'annonce et le geste, est du sexisme masqué en soit-disant "féminisme" ou le "rapport déculpabilisé à la nudité" selon le jargon soixante-huitard utilisé par le responsable de ce coup fumant a été compris ou fait semblant d'avoir été compris comme une sorte de prostitution "nature" sans maquillage et hauts talons. Car ce n'est pas "l'érotisme" que les vrais féministes remettent en cause mais le fait que la liberté de se dénuder soit confisquée à des fins mercantiles.
Dans cette publicité l'action topless au lieu de transmettre un message de liberté transmet un message de sujétion consentie impliquant toutes les femmes  !
La libération serait maintenant la prostitution sous une forme "plus proche de la nature".
Une autre personne qui n'a rien compris aux réactions des féministes, c'est le modèle nu Myriam Szabo, petite amie du photographe qui a posé pour cette affiche et a permis au pubeux qui employait son bien-aimé de gagner des fortunes considérables : 
Interviewée dans de nombreux magazines, notamment VSD, à ceux qui lui demandaient s'il elle n'avait pas honte d'avoir posé nue, elle répondait cette phrase : "L'obscénité n'est pas dans l'image mais dans l'œil de celui qui regarde".

L'obscénité n'est pas dans l'image, non, chère Myriam, mais dans le fait d'avoir offert sa nudité sans autre but que de faire gagner de l'argent à un annonceur.
D'avoir galvauder sa nudité. De lui avoir enlevé sa subversivité en échange d'une somme d'argent. En un mot de l'avoir bel et bien prostituée. Voilà où est l'obscénité.  

Car l'intention de la société Avenir était de démontrer à ses clients qu’il est possible de poser une affiche en quelques heures, puis d’en changer si on le souhaite tous les deux jours. La campagne Myriam a largement débordé sa cible composée alors de 4500 publicitaires français et de leurs annonceurs, puisqu’en septembre 1981, elle avait déjà rapporté près de 300 000 euros de retombées presse.
Car la publicité se définit elle-même comme une entreprise prostitutionnelle. Ici un article sur le plus "vieux beau métier du monde" (titre réel) évoquant la campagne de strip-teasing "Myriam" de 1981.
Et cette "obscénité" dont parle notre agnelle blanche, une fois administrée impunément et de force, va entraîner une avalanche d'autres obscénités plus terribles pour la femme les unes que les autres via la publicité et tout ce qui s'y apparente.  

(Alors il est normal que les groupes féministes de Paris se posent aujourd'hui la question du bien fondé de montrer ses seins pour la cause féministe comme le font les Femen d'Ukraine qui n'ont pas 30 ans de milliards de "campagne Myriam" dans la tête). 
Pour clore cette retrospective une fausse pub empruntée à Emelire :

   

ou mes seins....

Ajout du 2.10.12 : pour voir jusqu'où on en est arrivé dans la maltraitance du corps des femmes aujourd'hui, ne manquez pas les pubs trash publiées par Sophie Gourion ici

19 commentaires:

  1. Ta démonstration est percutante ! on peut également se demander si le "top less" sur les plages est vraiment le signe d'une plus grande liberté des femmes, si les couvertures des magazines "féminins", avec seins dénudés, (raison pour laquelle je n'ai pas adhéré à la stratégie du 1er numéro de Causette) aident la cause des femmes. On peut aussi s'interroger sur le scandale des seins nus de Kate... quelle est cette liberté, lorsqu'on est une princesse, de vouloir faire du topless sans risquer de se faire flasher par les paparazzis ?

    Sommes-nous des Tartuffe ("Couvrez ce sein que je ne saurais voir"...) en nous posant ces questions ?

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    1. Ily a deux choses à séparer : la femme qui se dénudent les seins librement et l'IMAGE de la femme qui se dénudeERAIent les seins librement soit-disant.
      L'interdiction de se dénuder les seins sur une plage c'est ce que l'on trouve dans les pays où les femmes sont voilées et l'interdiction de se baigner nue même dans les rochers loin des plages de touristes entre ami.e.s est une brimade que l'on nous inflige en France aussi.
      Par contre couvertures de magazines, affiches et toute IMAGE de la femme nue dont l'auteur est à 99,99% masculin et payeur ou féminin mais ayant épousé l'idéologie sexiste dominante et payeuse devraient être interdite pour sexisme caractérisée. Seules les femmes ayant un nom et assez d'argent pour ne pas avoir à se vendre de cette manière devrait être autorisée à se dénuder à condition que cela ait un sens non sexiste.

      D'accord avec toi à propos de Causette, bien sûr.
      Les seins nues de Kate par contre font partie de cette incroyable marchandisation du détail sans intérêt sur les célébrités : est ce que machine a un slip sous sa robe, truc a oublié de s'épiler un poil du menton et chose a raté sa coupe de cheveux. Du CO2 est lâché en grande quantité dans l'atmosphère pour publier des stupidités sans intérêt mais qui ressemblent énormément à une surveillance inquisitrice du comportement des FEMMES CÉLÈBRES (pas des hommes) pour les blâmer à la première occasion ou leur faire payer le prix (fort) de leur célébrité.

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  2. Bravo, ton argumentation est excellente.
    Dis-moi, "Choisir la cause des femmes" n'a jamais obtenu gain de cause alors?

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    1. Non il n'y a qu'à Lille que le maire (Pierre Mauroy à l'époque) a soutenu le mouvement féministe "Du côté des femmes" et fait apposer des bandes sur les affiches.
      On voit par là que sans une volonté masculine à l'appui les femmes peuvent crier dans le désert, personne ne les écoutent. Et pourtant il y a le code pénal et ses articles 283 et 290 sur l'atteinte aux bonnes moeurs. Le strip-tease publique via trois affiches exhibant un corps surdimensionné que même les enfants ne peuvent pas éviter de voir était pourtant de toute évidence une atteinte aux bonnes moeurs.

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  3. NON! une femme ne gagne pas en liberté en se dénudant les seins, une féministe ne gagne pas la liberté des femmes en se pavanant sein nu dans la rue tout en protestant contre l'objetisation des femmes, tout ce qu'elle réussit à faire c'est servir la cause des hommes. Elles croient se réapproprier leur corps? tout ce qu'elles défendent c'est leur chaines!!! En plus, cela fait croire aux femmes que pour être libre il faut se dénuder et quand les femmes comprendront enfin que la liberté ce n'est pas la nudité, là elles commenceront à se réapproprier leur corps!

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    1. Je ne prône pas l'exhibition topless pour défendre la cause féministe, j'essaie de montrer que les seins nus ont été l'expression de bien des choses avant de ne plus évoquer que l'objetisation de la femme et que si nous en sommes arrivées là c'est, en effet, que nous avons été tellement transformées en objet ces trente dernières années que nous avons perdu tout repère.
      L'herstoire (l'histoire des femmes) est un repère. Je voudrais que nous les retrouvions, nos repères.
      Dans les années 70, montrer ses seins, c'était revendiquer l'absence d'entraves comme l'injonction d'arriver vierge au mariage, par exemple. C'était se rebeller contre le soutif qui calibrait les seins. Ils devaient tous être pointues et hauts perchés et surtout pas tombant. Les femmes ont alors exhibé leurs seins tombants.
      Et puis les hommes aussi se mettaient nus pour déstabiliser la police, les juges, les institutions.
      Lors du printemps arabe, ce n'est pas pour rien que l'égyptienne Aliaa Elmahdy s'est mise nue sur son blog. Il est évident que c'était un cri de liberté semblable à ce que nous avons connu en 70.

      Se réapproprier son corps peut passer par toutes sortes de voies. Pour certaines cela peut être de se dénuder, pour d'autres, non. Mais aujourd'hui nous sommes devenues tributaires des regards sales assumés. Il est devenue difficile de faire passer un message de "natureté". Cela vient en particulier de cette pub très perverse, la fameuse "pub parfaite". Autoriser cela a été le commencement de notre perte.

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    2. Ne t'inquiète pas, j'avais compris que tu ne défendais pas le topless ;) je voulais juste répondre non aux féministes parisiennes qui se demandent si elles doivent suivre les FEMEN ou pas (faudrait que j’apprenne à préciser quand je parle.).
      je sais que toutes ces femmes dans les années 70 et Aliaa Elmahdy lors du printemps arabe avaient leur raison pour se dénuder mais ce n'est pas en exposant leur corps à la vue de tous-tes qu'elles gagneront quoi que se soit de bon :(
      Comme tu l'as constaté, les médias maintenant en profite pour déshabiller les femmes à tout va sous prétexte de les rendre libre, qu'elle supercherie! et le pire c'est que beaucoup de femmes croient vraiment que ça les rend libre.

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    3. A vrai dire moi qui voudrait qu'on réclame à cor et à cri et au besoin en faisant une action Occupy, la grève de la faim ou je ne sais quoi de vraiment déterminé pour obtenir cette fameuse loi antisexiste dont nous avons absolument besoin, je suis prête à me mettre toute nue avec des bananes autour de la taille comme Joséphine Baker et à singer une guenon devant l'Assemblée Nationale pour montrer que ca fait assez longtemps qu'on nous prend pour une espèce animale inférieure et que maintenant ca suffit.
      Si les FEMEN veulent aussi faire du raffut à leur manière, elles sont la bienvenue mais leurs critères sont évidemment différents étant donné que nous n'avons pas le même vécu.
      Mais ce que je veux à tout prix c'est que cette loi antisexiste réclamée en 1981 soit votée.
      Pour le reste, il est évident que sans même croire que le topless les libère, la majorité des femmes sont complètement aliénées. Quand je vois des ados essayer des vernis à ongles et des talons aiguille sous les portes cochères, je me dis qu'il y a un vrai torrent déchaîné à remonter ! :)

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    4. Quelle loi? Avez vous un texte déjà écrit?

      Parce que, sans vouloir vous offenser, je pense qu'un des soucis majeurs est que toutes les associations de défense des droits des femmes ne sont pas nécessairement du même avis sur le contenu, et ça ralentit l'affaire.

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    5. Je ne savais pas qu'il y avait une loi en préparation dont le contenu était débattu par les mouvements féministes. Vous me l'apprenez.

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  4. La subversion de 68 récupérée par quelques petits malins avec la dinde de service encore et toujours.

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    1. Exact.
      Sauf que malheureusement quand on n'a pas d'argent pour vivre, on devient vite une dinde qui se fait plumer par des petits malins.
      Apparemment la modèle de cette affiche aurait été "en galère".
      (A moins qu'elle est trouvé cette excuse ultérieurement).

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  5. Sans doute dans le milieu de Myriam y a-t-il des besoins inutiles et Olympe de Gouge ne bossait pas dans la pub. M'enfin y a pas mal de volontaires pour se dessaper contre un petit billet et discréditer le peuple fendue sans trop gamberger.
    Et puis faut-il des montagne de fric pour vivre?
    Un vélo, une paire de grolles, des bouquins achetés au puces, pas de télé, un carré de jardin, une vieille moto, un clébard,label vie quoi!

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  6. Le capitalisme et la publicité ont phagocyté toute l'iconographie de la révolte de Mai 68 et des années 70. Il fallait malheureusement que les femmes jetant leurs soutifs au feu, soient récupérées aussi :((( Les facultés d'absorption et de détournement de cette hydre à deux têtes, pour son plus grand profit, sont insurpassables.

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  7. Phagocyté, oui, tout à fait, ou avalé et transformé en une bouillie infâme, un vomi, une matière excrémentielle toxique dans laquelle tous sens est sali, empuanti et impropre à fertiliser quoi que ce soit.
    Le capitalisme et la publicité, en effet, sont à ce point destructeurs qu'ils transforment même des choses intangibles comme les concepts, les discours et les images en déchets ingérables et dangereux.
    Il nous faut montrer plus de détermination contre ça.

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  8. Je pense aussi que "phagocyté" comme dit Hypathie est le terme qui convient
    Exposer une femme nue pour vendre un yaourt ou un parfum , effectivement le capitalisme rayonnant de notre époque a quelque chose d'infâme , à l'image bien souvent des produits qu'ils vend.

    Pour mieux faire passer la pilule on dit aux femmes qui participent à cette mascarade que c'est de "l'âââârt" .

    Tout cela ne pue que le mensonge et l'hypocrisie.
    Oui le capitalisme a tout pourri , y compris et surtout la représentation de notre propre corps .

    Le capitalisme dit qu'il a libéré la femme alors qu'il l'a aliénée à ses propres désirs de posséder toujours plus.

    Et ceux à qui on fait des courbettes ( une grande majorité d'hommes), ces "grands" capitaines d'industrie comme on les dénomme , ces émirs richissimes qui ne savent même plus combien ils gagnent ne sont pour moi que des pervers narcissiques qui ne reculent devant aucune bassesse pour "posséder" .

    Alors ils se servent de l'image de LA femme , belle et soi-disant libérée pour mieux asseoir un peu plus leur pouvoir sur nos pauvres esprits serviles et envieux.
    D'accord avec Dusportmaispasque on se passe très bien de toutes ces saloperies pour vivre.

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    1. Non, en effet, ce n'est sûrement pas le capitalisme qui a libéré la femme. Les femmes étaient beaucoup plus "libres" dans les pays de l'Est quant à leur corps, leur sexualité et surtout elles avaient accès à un travail égal pour un salaire égal. Pour le reste, naturellement, c'était la dictature. Mais à l'ouest, la "démocratie" (ou soi-disant) est directement liée à la femme asservie. Le sexisme est donc bien le socle du capitalisme et le communisme facon soviétique n'est pas la solution mais on est plus proche d'une société égalitaire quand il n'y a pas d'accumuluation des richesse dans les mêmes mains et (fausse) compétition entre les "entreprises" !
      Une société égalitaire est possible mais il faut que les hommes politiques partagent le pouvoir avec les femmes à proportion véritablement égale. Or ils ne le partagent même pas entre eux (cf. : l'incroyable cumul des fonctions d'un certain Yves Rome dénoncé par le Canard enchaîné cette semaine).

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  9. Merci, Euterpe, pour tes articles, ils sont toujours très intéressants à lire!

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