jeudi 4 novembre 2010

"reneclouden"

La cueillette des fruits est terminée, les dernières feuilles s'accrochent désespérément aux branches, le vent et la pluie balaient et lavent ce qui reste : c'est novembre.
Il y a quelques temps, les petits paysans du coin venaient vendre leur récolte aux marchés et le coin chez moi c'est l'ancien margraviat des concertos de Bach, le même qui a donné son nom à un système décoratif de fermeture vestimentaire : le brandebourg.
Flânant à proximité de l'un de ces marchés, je remarque une marchande qui sert ménagers et ménagères avec une vivacité et une efficacité qui me laisse pantoise étant donné qu'au vu de son physique, il est impossible qu'elle ait moins de quatre-vingts ans. Je n'avais aucunement l'intention d'acheter quoi que ce soit, je passais par là par hasard mais maintenant j'ai envie d'observer de plus près la marchande.
Elle a certainement acquis cette dextérité au temps de la jeunesse d'une génération qui travaillait très tôt en âge et se levait très tôt le matin. Hop, elle emballe, tend les achats, prend la monnaie, rend les pièces, sans hésiter un instant ! A force de la regarder, lorsque vient mon tour, je ne sais toujours pas ce que je veux prendre. C'est alors que mon regard se pose sur une pancarte portant l'inscription "reneclouden".
Ce mot étrange ne ressemble pas à de l'allemand. La combinaison des lettres "c.l.o.u." n'a rien de germanique. Voilà une association de lettres improbables dans cette langue. Je corrige mentalement le nom étranger mal orthographié, retire le "n" qui est la marque du pluriel, sépare le mot en deux "rene" et "cloude", j'ajoute le "i" manquant à "rene", cela fait reine, et échange le "o" contre un "a". Cela donne "reine claude" ou : reine Claude, la reine à qui Anne de Graville dédia sa belle Dame sans mercy. Que fait son nom, 500 ans plus tard, germanisée n'importe comment, sur un morceau d'ardoise au dessus d'un cageot à prunes ?
Et qui connaît seulement la reine Claude ? Je ne peux même pas dire que si la loi salique n'avait pas existé elle aurait régné, parce que si la loi salique n'avait pas existé, aucun Valois n'aurait régné. Or c'était la fille aînée de Louis XII de Valois qui n'avait pas de fils.
A 16 ans , elle fut mariée à Francois Ier et resta reine de France le temps de mettre sept enfants au monde, presqu'un par an, ce dont elle mourrut à l'âge de vingt-cinq ans.
Il faut dire que l'on était parfois plus cruel pour les reines que pour les paysannes. N'ayant pas le droit d'allaiter, reines et princesses n'étaient pas protégées un seul instant d'une nouvelle grossesse.
Je ne sais pas si les paysannes du XVIe siècle atteignaient l'âge respectacle de quatre vingts ans, mais les reines, à moins d'être veuve jeune et de le rester, ne faisaient pas souvent long feu!
Tout ce qu'il nous reste de son souvenir est cette délicieuse prune rapportée par le naturaliste Pierre Belon qui lui dédia sa découverte.




21 commentaires:

  1. eh ben, quelle leçon d'histoire basée sur une pancarte et une simple (mais si délicieuse !) prune ;o) j'apprends que les reines et princesses n'avaient pas le droit d'allaiter ? qu'est ce qu'elles ont dû souffrir alors en + effectivement de risquer + facilement des grossesses rapprochées ! :o(

    RépondreSupprimer
  2. Et bien j'y penserai quand je verrai des reine claude au marché. Jamais je n'avais pens'e à ca. Ton blog est une mine d'or de l'Histoire, la vraie Histoire, pas celle édulcorée des manuels scolaires patriarcaux.

    RépondreSupprimer
  3. Claude de France est fille de Louis XII ET d'ANNE DE BRETAGNE devenue reine de France ! Epouse de François 1er, son nom a été donné à une variété de prunes, ...ce dont plus personne ne se souvient. De plus, elle s'appelait Claude parce qu'elle boîtait, comme sa mère.

    RépondreSupprimer
  4. Magnifique billet où la vie, la culture et l'histoire se mêlent. J'adore!
    Pauvre reine Claude, finir sur l'étal d'une marchande 4 saison avec son nom écorché, et la tête d'une prune!
    Tu m'as ravie pour toute la journée Euterpe!
    Honnêtement, c'est la première fois qu'on me rend solidaire d'une reine!
    Comme quoi tout peut arriver par la magie de l'écriture... je ne suis pas sûre que j'aurais sympathisé sinon avec la jeune fille de 16 ans... mais qui sait? je suis au moins solidaire de son calvaire, car disparaître à 25 ans après avoir fait 7 enfants prouve la barbarie du pouvoir masculin de l'époque... et je crois que cela dure encore à travers le monde.
    Je serai vraiment libre quand la femme la plus exploitée du monde sera une femme libre!

    RépondreSupprimer
  5. A Emelire : ce sont mes aventures à la recherche des femmes perdues dans l'espace-temps : je les trouve là où je ne m'y attend pas !;)
    Oui pour l'allaitement, c'était fatal pour les mères et en plus une cause de l'importante mortalité infantile de l'époque. Les nouveaux-nés confiés à des nourrices qui faisaient profession d'allaiter ne bénéficiaient pas des bienfaits du colostrum de l'accouchée.

    Merci Alice. Je suis d'ailleurs curieuse de savoir comment les danois orthographient reine-claude ! Dans le cas que je présente, la dame l'a écrit au petit bonheur. En réalité, en allemand, les diverses transcriptions reconnues sont : "reineclaude", "reineclode", "reneklode" et même "Ringlotte" !

    A Hypathie : Oups ! Désolée ! Tu as raison, en effet, mais comme je parlais de la loi salique...qui n'avait pas cours en Bretagne, d'ailleurs !

    Merci bric à brac baroque. Eh oui, reine cela ne voulait souvent pas dire grand chose !
    La prune reine-claude, la poire Belle Hélène,la reine des pommes...tiens les pommes ne s'appellent-elles pas "reinette" (petite reine) ?
    D'être "belle et bonne" c'est tout ce qu'on leur demandait pour certaines !

    RépondreSupprimer
  6. Pierre Belon, nous l'aimons bien au Mans car il est sarthois, originaire de Cérans-Fouletourte.J'ai appris ce soir qu'il a rapporté la reine-claude de ses voyages. Il existe au fond ancien de notre médiathèque, un petit livre racontant ses périples autour de la méditerranée, qu'on peut lire assez facilement car il fut le premier naturaliste à écrire non pas en latin mais en Français !

    RépondreSupprimer
  7. ... ou alors, il fallait avoir un coup de bol : un couple stérile (Henri III et Louise de Vaudémont), ou un époux pas très embêtant (Louis XIII et Anne d'Autriche)

    RépondreSupprimer
  8. Effectivement entre toutes on en apprend tous les jours: la reine claude en souvenir d'une reine et le prénom Claude donné à une personne qui boite (d'où le verbe claudiquer, alors).

    Merci !

    RépondreSupprimer
  9. Côté fruits, il y a aussi la reine des tartes!
    et effectivement, comme tu le dis, la langue française n'est pas avare en comparaisons entre fruits et femmes, fleurs et femmes...
    A quoi pourrions-nous comparer les hommes,à des cailloux? Des arbres? Pour être dur et dru!
    Une façon comme une autre de réifier "l'autre"... de le réduire à un sex toy, donc, on ne le fera pas...
    Bonne journée!

    RépondreSupprimer
  10. A Claire Felloni : merci du renseignement, je ne savais pas qu'il était de la Sarthe ! Département que je ne connais pas trop mal pourtant car j'y est vécu deux ans !

    A Artémise : oui, Henri III était aussi peu porté sur les femmes que possible, il faut dire. Pour Louis XIII, je ne savais pas. Je m'y connais mieux en histoire du XVIe que du XVIIe siècle.

    A Héloise : Ravie d'avoir contribué à t'apprendre quelque chose! ;)

    A bric à brac baroque : "réifier" c'est le mot car il évoque à la fois "roi/reine" et "chose". Très intéressant !

    RépondreSupprimer
  11. Et en plus, les reines accouchaient en public devant les grands de la cour, de façon à contrôler qu'il n'y avait pas substitution d'enfant en cas de décès à la naissance. Chose qu'une paysanne n'avait pas à subir.

    RépondreSupprimer
  12. Ce billet est magnifique !! Je cherchais le nom de l'écrivain en étant à l'origine ...Je suis vraiment très impressionnée.
    A bientôt

    RépondreSupprimer
  13. fabuleuse image : cette "reine" Claude qui survit grâce à son nom donné à des fruits, crois-tu que ces fruits font partie de ceux que les protestants réfugiés ont amenés avec eux en Allemagne ? (comme tu me l'as appris à la Monbijoustrasse)

    RépondreSupprimer
  14. A Floréal : oui en effet, tu as raison de le préciser ! San parler des "visites" avant le mariage pour contrôler leur virginité s'il y avait doute...

    A zestedeprof : merci, je suis extrêmement touchée du compliment !

    A lucia mel : oui, j'en suis même convaincue. Il n'y avait tout simplement pas d'arbres fruitiers du tout sur ces marécages sablonneux ingrats du Brandebourg. Il fallait de la patience et un savoir-faire étranger pour rendre fertile une terre pareille ! Or la reine-claude est arrivée en France presqu'un siècle avant que les huguenots ne s'exilent en Prusse.

    RépondreSupprimer
  15. Euterpe,

    Non, Henri III a eu de nombreuses maîtresses avant (et après, mais moins) son mariage. En outre son mariage avec Louise de Vaudémont est en grande partie un mariage d'amour : il aurait pu prétendre à beaucoup "mieux" en tant que futur roi.
    Le coup de chance, c'est que le couple est resté stérile, donc pas de risque de mort en couche !
    mais le roi n'en a pas moins témoigné jusqu'au bout un grand attachement à son épouse, ce qui est loin d'être le cas chez toutes les têtes couronnées. Louise de Vaudémont a d'ailleurs passé le restant de ses jours en portant le deuil de son époux, très affectée qu'elle était par son assassinat.
    Voir Pierre Chevallier, Henri III, chez Fayard : très bel ouvrage.

    En revanche, Louis XIII, pour le coup, n'était clairement pas intéressé par les femmes... autre coup de pot pour Anne d'Autriche.


    Merci en tout cas d'avoir parlé de la Reine Claude, on la voit si peu ! Ta capacité à ressusciter ces femmes de manière sensible est vraiment remarquable !

    RépondreSupprimer
  16. A Artémise : oui pour son mariage avec Louise de Lorraine-Vaudémont, je sais ce qu'il en est car je l'ai lu dans "Les reines de France au temps des Valois" de Simone Bertière. Comme il s'y agit des reines et non des maîtresses, je restais un peu, sans trop m'en rendre compte, sur la vision d'Henri III que nous en donne Dumas car s'il a épousé Louise par amour, d'après S.B., elle ne faisait pas moins partie des meubles une fois mariée.
    Merci néanmoins pour ces renseignements complémentaires (Henri III était un roi assez énigmatique en son genre, je suppose que le livre dont tu parles le souligne) et merci pour ton appréciation qui me réjouit beaucoup !

    RépondreSupprimer
  17. Toujours un régal de vous lire.
    fa#

    RépondreSupprimer
  18. Délicieux billet Euterpe. La linguistique est plus mon domaine que l'histoire.
    Les espagnols "espagniolisent" les mots étrangers, ainsi ils mangent des "bistecs" (beefsteak), jouent au fútbol...
    Pour le sujet du jour, ces fruits s'appellent ici "ciruelas claudias" (prunes claudes); adios la reina, dommage!

    RépondreSupprimer
  19. Merci fa# !

    A Colo : "ciruelas claudias" ? Joli quand même. On dirait qu'il s'agit d'une simple traduction du latin "prunus claudiana".
    Mais si les allemands n'ont pas germanisé ce nom en "Königin Klaudia" cela vient du fait que les huguenots émigrés en Allemagne ont planté cette prune directement sur place. Quoique les Allemands, au contraire des espagnols, adorent intégrer des mots étrangers même si, après, ils ont quelques difficultés avec l'orthographe! :-)

    RépondreSupprimer
  20. Très beau billet!
    J'adore l'histoire à l'échelle humaine. Intéressant de constater que ce qui nous paraît familier possède une histoire qui elle, ne nous est pas si familière... et c'est bon de nous rappeler ce qui fut avant nous!

    Quant à toutes ces histoires de reines, princesses, courtisanes et autres... beurk! Jamais je ne troquerais ma petite vie paisible avec les leurs. Quand je pense que presque toutes les petites filles rêvent d'être princesse! Si seulement elles savaient...
    ;¬)

    RépondreSupprimer
  21. Merci Lucrecia ! C'est l'un des rares textes de ce blog dont chaque mot est de moi au lieu d'être un patchwork d'emprunts modifiés et résumés comme c'est souvent le cas dans mes autres billets. Du coup les compliments à son sujet me font encore plus plaisir !
    Oui la vie des reines et des princesses était la plupart du temps un vrai calvaire, pauvres femmes !

    RépondreSupprimer