samedi 23 novembre 2013

Femmes oubliées de l'HIStoire, en Suisse aussi

Les femmes, éternelles "oubliées" de l'his-toire

La RTS a eu la bonne idée de créer une série de quatre films autour de six personnalités qui ont marqué l’Histoire suisse, et seront diffusés en prime time sur RTS I du 6 au 30 novembre 2013 : Werner Stauffacher, Nicolas de Flüe, Hans Waldmann, Guillaume-Henri Dufour, Stefano Franscini et Alfred Escher. Les femmes représentent 50% de la population, mais aucune n’a été considérée comme digne d’avoir marqué les 400 ans d’histoire retenus: de la naissance de la Confédération (XIVe-XVe siècles) à l’avènement de la Suisse moderne au XIXe siècle.
Les têtes pensantes qui ont imaginé cette série se situent dans la droite ligne de ce qui se passe depuis que l’écriture existe: les textes fondateurs (les mythologies, la Bible, le Coran, les lois, etc.) ont été écrits par les hommes pour les hommes, les femmes n’y ont aucune place, sinon celle de procréatrice et de servante.
Malgré tout, un certain nombre de femmes se sont illustrées au cours des siècles. Je n’en citerai qu’une: Hildegard von Bingen (Allemagne, XIIe siècle), génie d’esprit universel en théologie, musique (elle fut la première au monde à composer), littérature, linguistique, médecine, fondatrice des sciences naturelles, qu’on pourrait comparer à Léonard de Vinci, mais dont je n’ai entendu parler que bien après mes études.
Venons-en à la Suisse, sujet de cet article. Marie Dentière, théologienne, dialoguait avec Calvin. Michée Chauderon fut la dernière sorcière brûlée à Genève (en 1652). Anna Göldin fut accusée de sorcellerie et décapitée à Glaris en 1782, elle figure parmi les dernières qui furent exécutées en Europe. Marguerite Champendal, médecin, créa l’Ecole d’infirmières du Bon Secours. La brillante Germaine de Staël, Jeanne-Henriette Rath, fondatrice du musée qui porte son nom, cette liste n’étant de loin pas exhaustive.
Dans la période retenue pour la série télévisée (avant le cinéma), citons une femme parmi les nombreuses qui ont œuvré pour la paix: Valérie de Gasparin (1813-1894). Elle fut de tous les combats: pour aider les pauvres, contre l’esclavage, contre la traite des jeunes filles. En 1854, durant la guerre de Crimée, elle déclencha un vaste mouvement de solidarité. En 1859, appelée par Henri Dunant, elle s’associa à la première mission internationale de secours aux victimes de combats. La même année, elle fonda la première école d’infirmières du monde, qui deviendra «La Source».
Braquons enfin le projecteur sur la féministe Marie Goegg-Pouchoulin (1824-1899), qui a précédé dans l’Histoire Marga Bührig et Emilie Gourd. C’est elle qui fonda, en 1868 à Genève, la première société féministe en terre romande, et l’Association internationale des femmes, dont le but était de soutenir les efforts tendant vers la paix et les droits des femmes. Elle fonda le Journal des Femmes, premier journal féministe suisse. On lui doit par ailleurs l’admission des femmes à l’université de Genève.
L’Histoire n’est pas un monolithe. Chaque époque revisite son passé par rapport à ses nouvelles connaissances et valeurs. Il est évident que si l’on ne s’intéresse qu’aux chefs de guerre (trois sur six dans la série en question) ou aux pionniers de l’industrie, on ne trouvera que des hommes. En revanche, si l’on s’intéresse au peuple, on trouvera autant de femmes que d’hommes. Or, ce sont les peuples qui sont la chair de l’Histoire.
Les travaux scientifiques actuels tendent à montrer que les éléments civilisateurs ont toujours été le fait des femmes: la conservation du feu, la poterie, le tissage, l’agriculture, etc. Il semble même que les fameuses peintures des grottes furent réalisées par des femmes, les études s’étant penchées sur les dimensions des mains.
Après leur règne, on a martelé les pierres et cartouches qui portaient le nom de la reine Hatchepsout et de la reine Zénobie de Palmyre; on a systématiquement écarté les œuvres de Sappho en ne les recopiant pas; on décapita Olympe de Gouges, qui avait réclamé que les Droits de l’Homme fussent aussi ceux de la Femme. On criait «A poil!» contre les suffragettes qui montaient à la tribune; tout récemment, à l’Assemblée nationale française, un Néandertalien s’est permis de pousser des gloussements de poule pendant qu’une députée parlait...

En 2013, il semble qu’on en soit encore là: les femmes n’existent pas ou on les nie. Renseignement pris, le choix des six personnalités a été élaboré par une commission de quatre journalistes et historien-ne-s de la Suisse allemande, du Tessin et de la Romandie, comprenant deux hommes et deux femmes.
Parler de Michée Chauderon ou d’Anna Göldin, c’est soulever un sombre pan de l’Histoire, qui a tenu pendant des siècles comme déviant tout comportement qui s’écartait de la doctrine rigide imposée par l’Eglise catholique, les femmes ayant payé le plus lourd tribut (dix mille femmes accusées de sorcellerie pour mille hommes en Europe). Parler de Valérie de Gasparin, c’est mettre en lumière le combat des femmes pour la paix, de Lysistrata à nos jours, et montrer les conséquences des guerres dans le quotidien, ce qui aurait été un pendant éclairant aux actions de trois chefs de guerre. Parler de Marie Goegg-Pouchoulin, c’est aborder la question fondamentale des droits, notamment ceux des femmes (la moitié de la population), qui ont acquis, en 1971 seulement en Suisse, celui d’être considérées comme des personnes et des citoyennes à part entière.
Près de cinquante ans après Mai 68, que faut-il faire pour que nos têtes pensantes le comprennent?

Sur lecourrier.ch

16 commentaires:

  1. Et encore, ce n'est même pas sûr qu'il n'y ait que des pionniers mâles dans l'industrie ! Je me souviens clairement d'avoir vu un soir sur ARTE, un doc sur Solidarnosc, le syndicat dissident des chantiers de Gdansk dans lequel la fondatrice déclarée était Anna Valentinowicz, débarquée après une espèce de "coup" quand le syndicat à décollé et qu'il n'était plus une cause perdue. Auteur du coup : Lech Walesa ! Le documentaire dénonçait clairement l'injustice faite à cette pionnière dissidente. Depuis qui se souvient de la fondatrice réelle de Solidarnosc ? PERSONNE. C'est à peine si elle est mentionnée dans la notice Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Solidarno%C5%9B%C4%87
    Voici sa fiche (ya pas de raisons) : http://fr.wikipedia.org/wiki/Anna_Walentynowicz
    Merci pour ce billet plein de noms de femmes illustres que je vais bien entendu mettre dans mon Pinterest Herstory ;))

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    1. Oui, je le savais aussi pour Anna Valentinowicz. Oui, il doit y avoir des montagnes d'exemples semblables mais nous n'en connaissons que quelques uns des plus récents. Si on imagine que cela s'est produit constamment depuis la mise en place du patriarcat (si tu lis Anne Larue, tu vas voir que le patriarcat n'est que tout récent dans l'histoire de l'humanité) cela en fait des femmes effacées !
      Ton pinterest Herstory est génial. Il y a juste une erreur concernant Catherine de Médicis. C'est une inconnue du 15e s. et non pas Catherine de Médicis que tu y a mis. Patrick Chéreau s'en était inspiré pour diaboliser C.d.M. dans son film.

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  2. Un autre moyen de bien nier l'histoire des femmes : écrire sur leurs expériences, préjuger de leurs sentiments sans même leur avoir parlé et se servir de leur histoire pour alimenter ses propres fantasmes - et se faire du pognon. Voici un extrait d'un livre sur les captives de Cleveland. Non seulement ça dégouline de pathos, mais en plus on dirait du mauvais Stephen King !
    http://www.clevelandkidnappings.com/book%20preview%20CKIA-3.pdf
    (mot de passe CKIA)

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    1. Ah oui en effet. C'est une chosification comme une autre... Du cynisme quoi !

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    2. Oui, en fait on ne respecte pas du tout ces victimes, elles ont une fonction cathartique, doivent témoigner des violences infligées comme marginales et déshumaniser complétement leurs agresseurs pour qu'ils paraissent de monstrueuses anomalies et non des hommes violents produits par notre structure sociale. Leur vécu et le respect auquel elles ont droit passent très vite à la trappe. Amanda Berry a reçu des commentaires haineux et méprisants après avoir témoigné avoir eu un peu d'intimité non-contrainte avec son bourreau qui la traitait un peu moins mal que ses compagnes d'infortune. Un peu la même chose que Natascha Kampusch qui a été critiquée pour avoir comparé son ravisseur aux tortionnaires bourgeois "ordinaires" et s'être moqué du voyeurisme malsain des médias. Et leur fameux "cela ne nous regarde pas !" hypocrite, voir ce bon sketch des Inconnus.
      http://www.youtube.com/watch?v=AeT0KV0FPnY

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  3. Et pour ceux que la préhistoire intéresse ce site très complet qui ne traite pas que de chasse et de "guerre du feu" mais des multiples aspects de la vie de nos ancêtres, entre autre le rôle des femmes, de la sexualité, etc.
    http://www.hominides.com/html/dossiers/femme_prehistoire.php

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    1. merci, j'irais faire un tour. Il y a aussi du progrès à faire sur notre interprétation patriarcale de la préhistoire. Ce que l'on ne dit jamais c'est que le dysmorphisme était loin d'être aussi marqué qu'aujourd'hui, Ce qui veut dire que les hommes ne pouvaient guère dominer, les deux sexes étant de corpulence égale.
      Le dysmorphisme est une conséquence de plusieurs milliers d'années de "dressage" et "d'élevage" facon vaches.

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    2. Les femmes devraient être plus costaudes ? C'est curieux mais il me semble que même à notre époque les femmes sont en général un peu plus corpulentes et résistantes aux mauvaises conditions que les hommes, qui ont un peu plus de muscles en compensation, quand elles ne s'épuisent pas à garder un poids et une silhouette d'enfant !

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    3. Je parle de la morphologie pas de l'endurance, etc...
      Et je n'ai pas dit que les "femmes devraient être plus costaudes" mais qu'elles n'avaient pas le squelette plus petit. Elles étaient indistinctes par la taille. Seul le bassin qui est "amovible" peut distinguer un squelette féminin. Pour les quelettes préhistoriques c'est encore plus le cas.

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  4. En bas de l'article de Huguette Junod dans Le Courrier, un lien vers des ressources diverses à télécharger, tu l'as vu ? Si j'avais encore des sujets de dissertation à donner... Heureusement, je n'en ai plus à corriger.

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    1. Non je n'avais pas vu mais je l'ai vu cette fois, merci ! On n'a pas cela en France (ni en Allemagne) !
      Oui, j'imagine que corriger les copies sur un sujet donné c'est moins drôle que de le donner ! ;)

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  5. Euterpe: je vois que vous "calez" sur mon blog; souvenez-vous : vous aviez publié sur le vôtre, il y a quelques temps, des photos de nones que j'avais bien appréciées et qui avaient été pour moi l'occasion d'écrire quelques bricoles que je publie sur le mien aujourd'hui. Pouvez-vous les retrouver, ces photos ? enfin, si vous avez le temps et l'envie de le faire.
    J'espère que vous n'en serez pas offensée, c'était simplement marrant.

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    1. Mais avec plaisir ! C'est la série sur Marie Heroet comme celle-ci :
      http://lesaventuresdeuterpe.blogspot.de/2010/10/les-aventures-extraodinaires-de-marie_09.html
      Si vous tapez "euterpe" et "marie heroet" dans google puis allez sur images, vous les trouverez toutes. Ou bien sur mon blog sous le libellé "harcelement sexuel" si je les ai correctement libellés.

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  6. Du viol comme arme de guerre:
    http://paris-international.blogs.la-croix.com/un-medecin-contre-le-viol-une-arme-de-guerre-a-lest-de-la-rd-congo/2013/11/27/

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  7. Hors propos, juste un lien pour te signaler un billet qui pourrait t'intéresser - je me demandais si tu avais déjà abordé cette personnalité : http://asautsetagambades.hautetfort.com/archive/2013/10/24/do%C3%B1a-gracia-nasi-cecil-roth-5204255.html

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  8. Nous sommes en train de réfléchir à une façon de promouvoir les travaux des femmes oubliées en France, mortes ou vives... on pourrait se coordonner avec les allemandes...rêvons d'une action EUROPEENE...
    envoyez moi un courriel et on vous enverra des infos...
    Olympe...en mouvement !

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