(Albrech Dürer : La paysanne en pleurs, 1515)
A l'heure où l'on tente vainement d'obtenir la fermeture de
la centrale nucléaire de Fessenheim comme on tenta vainement il y a trente ans d'empêcher son ouverture, on peut saluer l'exemplaire solidarité des
alsacien.ne.s/badois.es/suisses.ses allemand.e.s (le triangle rhénan dit "
Dreyeckland") dans la lutte contre cette monstruosité technoscientiste, la plus mortifère que le capitalisme ait jamais produite.
Cette solidarité suprafrontalière n'est pas neuve. Elle a une très longue histoire, toujours la même, celle de s'unir contre les oppresseurs qui prétendent vous soumettre à des impôts, un fonctionnement et des lois iniques dont l'unique finalité est de s'engraisser à vos dépends et sans égard pour la vie même. La politique nucléaire comme instrument d'oppression ne déroge pas à la règle.
Du XVe siècle à 1525/26, les populations alémaniques de part et d'autre du Rhin se liguèrent en conjurations appelées "
Bundschuh" ou "Soulier à lanières" par opposition à la botte que portaient les seigneurs. Les disettes et les épidémies favorisaient beaucoup les soulèvements chroniques, car disette ou pas, le paysan était comme on dit toujours : "taillable et corvéable à merci". Cette guerilla ne fit que s'amplifier en vingt ans et déboucha sur une
insurrection féroce qui embrasa l'Empire
depuis la Saxe jusqu'en Lorraine, suite au coup d'éclat de
Luther et ses 95 thèses dénoncant le commerce des allégeances. En effet, en dénoncant la sélection par l'argent au sein du catholicisme, Luther, sans s'en douter, déclenchait rien moins qu'une véritable
lutte des classes avant l'heure, mais qui s'achèva malheureusement par un terrifiant bain de sang orchestré par le duc de Lorraine où 100 à 130 000 paysans laissèrent leur peau.
Margarete Renner (1475-1535) dite "
la jardinière noire" (schwarze Hofmännin), d'après l'écrivain
Klemens Ludwig une herboriste qui possédait un grand sens de la justice, est la seule femme connue par son nom que l'on ait retenu parmi les protagonistes de
la grande guerre des paysans de 1525.
Habitante de
Böckingen (auj. un quartier de
Heilbronn), elle se plaignit aux seigneurs von
Hirschhorn, à qui appartenaient les terres dont le couple Renner était les "serfs passifs", c'est-à-dire obligés de s'acquitter de l'impôt public en cours dans le St-Empire (le Bede et la Schatzung)) des corvées exorbitantes exigées par
le conseil de Heilbronn, et tenta d'obtenir leur protection. Le conseil leur interdisait le pré, l'eau, le bois, etc..tant que les Renner ne s'acquittaient pas des fameux impôts et charges.
Les Hirschhorn refusant d'intervenir, Margarete s'engagea dans la révolte des paysans auprès du "
Che" souabe du XVIe siècle,
Jäcklein Rohrbach. Lors
du massacre de Weinsberg où les paysans tuèrent nombre de gens de la noblesse, Margarete Renner aurait suggéré de se servir de la graisse du ventre du
comte de Helfenstein pour nettoyer la rouille des piques et des fourches et d'en cirer les chaussures à lanières des insurgés.
(Hans Holbein : Bataille de lansquenets)Elle harangua et encouragea les paysans au
siège de Heilbronn. Elle est représentée sur un tableau (que je n'ai pas trouvé) en train de bénir les troupes armées de piques et de fourches, tout en leur demandant de ne laisser aucune pierre l'une sur l'autre, dans la ville de Heilbronn.
Elle proposa que l'on exécute
le procurateur de Heilbronn car il ne faisait rien que, je cite, d'"entuber et d'escroquer" (beschissen und betrügen) tout le monde.
Elle est considérée en Allemagne comme
la première révolutionnaire allemande.
Au contraire de Jäcklein Rohbach qui fut
brûlé vif, elle fut emprisonnée mais, bien défendue par la seigneuresse locale, elle fut acquittée.
Margarete Renner mourut de mort naturelle en 1535.

Un
monument commémoratif (assez moche) d'un certain Dieter Klumpp en hommage à la jardinière noire a été érigé à Heilbronn en 1986.