Je voulais publier d'autres choses (le Goncourt des lycéens communiquer par
JEA ; le résultat général de mon tag, entre autres) mais je viens de voir avec une salle pleine de gens qui ont participé comme moi d'une manière modeste ou non à sa fabrication, le film de Roland Emmerich consacré à Shakespeare auquel est rattaché désormais un paquet de souvenirs et de billets de ce blog, il faut donc que j'en parle au risque de lasser.
Voir ce film m'a fait l'effet de visionner une vidéo familiale "Tiens, Jessica ! Tiens, Manfred !" retrouver des têtes connues qu'aucun spectateur/trice ne remarquera jamais, retrouver des parties de décor vus dans les coulisses, redécouvrir certains objets aperçus dont on se demandait à quelle genre de scène ils allaient bien pouvoir servir : le chariot à foin, par exemple, à l'abri duquel on est allé s'étendre en cachette et d'où l'on a surpris quelques techniciennes qui s'emparaient de paillasses pour s'allonger sous la Lune parce qu'on est venus à l'aube et que l'on sera encore là à l'aube suivante ; on découvrait enfin quelle effet avait finalement été obtenu avec certaine caméra supergéante à cou de dinosaure et tête chercheuse qui obligeait à se plier en deux à son passage, à apprendre de où à où telle scène interminable recommençée dix fois a été coupée au montage, à se souvenir des odeurs, du froid, du chaud, des sons, des incidents, des conflits, des romances, des diverses équipes techniques et bien sûr des acteurs cotoyés parce qu'excellents dans des rôles qu'ils/elles n'ont bien entendu pas choisis. Tellement bons (90% d'hommes) qu'on en oubliait qu'ils jouaient.

Esthétiquement très réussi, ce film m'a surtout donné envie d'en faire un moi-même mais avec nettement moins d'hommes en vedette.
Un film avec plein de femmes et d'animaux.
Car dans "Anonymous" les animaux vivants sont des véhicules (chevaux), des obstacles (poules qui entravent la fuite de quelq'un) et les animaux morts, comme dans le bureau du soi-disant vrai Shakespeare, sont des trophées au mur (un demi-zèbre, par ex.), des cadavres en bocaux, ou seulement apparemment empaillé comme le faucon aveuglé par un masque (qu'il aurait normalement du porter uniquement à la chasse) afin d'effrayer le visiteur et le/la spectateur/trice.
Voilà qui ressemble à notre époque et non au XIVe siècle !
En attendant pour ce qui est de la théorie selon laquelle l'oeuvre de Shakespeare aurait été écrite par Edouard de Vere, comte d'Oxford, qui aurait en même temps été le fils caché de la reine Elisabeth avec lequel elle aurait ensuite eu un autre fils caché (oui, vous avez bien lu, Roland Emmerich qui par ailleurs est un grand cinéaste vient de surpasser Patrice Chéreau sur la question du cliché de l'inceste au XVIe siècle), elle est juste ÉNORME.
Voilà ce qu'en dit d'ailleurs le
Zeit-online (extrait) :
" (...) Ce qui est bête c'est que de Vere est mort en 1604 et que dix pièces ont été écrites après cette date.
Macbeth,
La Tempête font allusion à des événements qui se sont produits après sa mort. D'après
Anonymous de Vere aurait écrit
Le songe d'une nuit d'été, un nouveau genre du théâtre elisabéthain, 40 ans avant la première – il aurait donc eu 9 ans. C'est comme si Buddy Holly, le plus grand musicien de rock de tous les temps avait composé
Peggy Sue en 1945 ; sauf qu'à l'époque il y n'avait juste pas de rock ’n’ roll du tout. (...)
La question que l'on se demande alors, c'est "qui ment?". Mais les films se préoccupent rarement de vérité historique ; il s'agit de raconter une bonne histoire qui aurait pu éventuellement se passer. Le problème avec
Anonymous est malheureusement plus aigu, il pénètre au coeur de la créature postmoderne qui par principe ne fait pas de cas particulier de la vérité parce qu'elle ne serait qu'une »construction«. Tu as ta version et j'ai la mienne – qui sera en mesure de dire laquelle est juste ?"
Bon OK, l'article ne parle ni d'Elisabeth, ni d'inceste, ni du fait que Shakespeare aurait pu être une femme. Il est question de la vérité historique et d'hommes. Et dans le film et dans les critiques et dans les exemples pour étayer ces critiques.
Les hommes, les hommes, les hommes. Seuls sexes autorisés à montrer toutes les facettes de l'être humain.
Dans ce film, les femmes sont ou des quémandeuses de mariage et de dot, ou des prostituées ou une reine qui se préoccupe surtout de ses plaisirs et qui est gouvernée en sous-main par un homme (je n'ai pas retenu le nom de personnage).

Et les bandes-annonces précédant le film ce sont révélées pire encore. Aucun blockbuster à voir dans l'avenir ne répond à l'un des critères du
test de Bechdel qui en compte trois.
Ici l'enfance d'Elisabeth pour les anglophones. Fille d'un second lit avec un père qui tua sa mère, abusée sexuellement dans son enfance, soucieuse de ne pas se laisser voler le pouvoir par un homme, voilà une femme qui n'eut certainement pas la sexualité débridée que lui prête Emmerich. D'ailleurs une autre théorie existe qui accorde directement la maternité de l'oeuvre de Shakespeare à sa personne...