lundi 30 juillet 2012

Con reposé et inutile (actualisé)

Mariage vient du mot « maris » c'est-à-dire « mâle » en latin, car, à l’origine, il s’agissait d’une union masculine entre un époux… et le père de la future épouse. (...) L’Église fait du mariage un sacrement en 1215, au concile de Latran, et le rend indissoluble. (...) Dès le XVIe siècle, le mariage est célébré devant curé et témoins, et les mariés doivent signer un registre. L’Église perd son monopole lors de la Révolution Française qui instaure, en 1792, le mariage civil.
(Source).




J'aurais bien aimé parler encore un petit peu du vêtement féminin mais j'y reviendrai une autre fois car je viens de lire un passage édifiant du livre de Brantôme Les dames galantes.
Brantôme a le mérite de nous permettre de jeter un regard plongeant dans l'âme masculine et d'y contempler son irrespect chronique à l'endroit de la liberté féminine, la femme semblant avoir de tout temps du servir à ses petits plans à lui et à rien d'autre. Ce qui est, bien évidemment encore le cas aujourd'hui, n'en doutons pas.

Voici que nous raconte l'auteur :

(...) à l'île de Chio, la plus belle île et gentille et plaisante du Levant, jadis possédé par les Genevois, et depuis trente-cinq ans usurpée par les Turcs, dont c'est un très grand dommage et perte pour la chrétienté. En cette île, comme je tiens d'aucun [d'un] marchand genevois, la coutume est que, si une femme veut demeurer en viduité, sans aucun propos de soi remarier, la Seigneurie la contraint de payer un certain prix d'argent, qu'ils appellent argomoniatiquo, qui vaut autant à dire (sauf d'honneur des dames) c.. reposé et inutile. (Comme jadis à Sparte, ce dit Plutarque, en la vie de Lysandre, était peine établie contre ceux qui ne se mariaient point, ou qui se mariaient trop tard ou se mariaient mal). Je leur ai demandé à aucuns de cette île de Chio sur quoi cette coutume pouvait être fondée : ils me répondirent que pour toujours mieux repeupler l'île. Je vous assure que notre France ne demeurera donc indéserte ni infertile par faute de nos veuves qui ne se remarient que d'autres, et par ce ne payeront de tribut du c. inutile et reposé. Que si ce n'est pour mariage, pour le moins autrement qu'ils le font travailler et fructifier comme j'espère dire.
Détail_îles_Chios_et_!Lesbos
(Brantôme (qui revient au livre de Plutarque* sur les moeurs spartiates) parlent ensuite des jeunes grecques obligées de se prostituer pour se payer un mari, puis de Lycurgue (législateur de Sparte) qui met fin à ces pratiques et ordonne que l'on cesse de faire payer aux femmes leur mariage + autorise qu'elles aient des amants. Pour revenir à la France de son époque, notre auteur qui parlait du remariage des veuves avant cette digression sur le cas de l'île de Chios et des moeurs de Sparte, revient à ses moutons pour prouver que veuvage ne veut pas automatiquement dire "con reposé et inutile").
Une autre espèce de veuve dont il y a qui ne se remarient point, mais fuient le mariage comme peste ; ainsi que me dit une, et de grande maison, et bien spirituelle à laquelle lui ayant demandé si elle offrirait encore son voeu au dieu Hyménée, elle me répondit : "Par votre foi, serait-il pas fade et malhabile le forçat ou l'esclave, après avoir tiré longuement la rame, attaché à la cadène [pièce de voilier], s'il venait à recouvrer la liberté, s'il ne s'en allait de son bon gré sans encore s'assujetir sous les lois d'un outrageux corsaire ? Pareillement moi, après avoir été sous l'esclavitude d'un mari, et en reprendre un autre, que mériterais je, puisque d'ailleurs, sans aucun hasard, je me puis donner du bon temps ?" A une autre dame grande et ma parente (...), lui ayant demandé si elle n'avait point d'envie de convoler : "Nenny (me répondit-elle), mon cousin, mais bien de conjouir" ; faisant une allusion sur ce mot de jouir, comme voulant dire qu'elle voulait bien faire à son c.. jouir d'autre chose qu'à un second mari, suivant le proverbe ancien qui dit qu'il vaut mieux voler en amours qu'en mariage (...).

On voit par là que nos arrière-arrière-arrière-arrière-etc... grands-mères ne se laissaient pas plus faire que nous.
Aujourd'hui les femmes qui laissent leur c.. (comme dit Brantôme) reposé et inutile passent à la poubelle (pas seulement virtuellement). Ou bien elles sont considérées comme dérangées ou rebelles à leur vraie fonction. Mais heureusement les médecins sont là pour les prévenir des dangers qu'elles encourent si jamais elles persistent ! (Sainte science a parlé).


Abstinence


* Brantôme qui a eu un accident est contraint à l'immobilité. Il passe tout son temps à écrire ses mémoires et à témoigner de son temps tout en lisant des classiques grecs comme Plutarque et sa célèbre "Vie des hommes illustres". Raison pour laquelle il parle par ci par là des gens comme Lysandre ou Lycurgue et compare son époque à l'époque antique.

Edit 01.08 : à Bruxelles la taxe du con qui n'est pas "maqué" (ou qui prétend sortir sans son mari ou assimilé) ce sont les insultes.

Sofie Peeters - Femme de la rue (Bruxelles) von Spi0n

vendredi 27 juillet 2012

Comment s'habiller dans une société machiste ? (ré-actualisé)

Beaucoup de blogs ont rebondi sur l'affaire Duflot en robe à fleurs et rivalisé d'intelligence,d'humour, de perspicacité, de finesse, de solidarité, d'ingéniosité et de clairvoyance sur le sujet mais je voudrais moi en profiter pour (ré)aborder le problème du vêtement féminin qui reste à ce jour le seul domaine où nous accumulons tous les privilèges, et ces privilèges, de mon point de vue, nous privent de tous les autres.

Nous savons pourtant que le vêtement féminin est plus fabriqué pour les hommes que pour les femmes. La robe c’est plus pratique pour violer, le décolleté pour évaluer la marchandise (la robe courte aussi et ne parlons pas des mini-jupes), même les petites filles portent des tailleurs étroits (très pratique pour faire de l’escalade, n’est ce pas, ce qui ne nous empêche pas d'en voir plein sur les terrains de jeux), et tout cela n’est pas nouveau.
Doit-on attendre que l'on nous demande de porter la burqa pour comprendre que nous ne choisissons pas ?
Au deutsches historisches museum de Berlin, il y a une expo “fashion” (c’est son nom) qui présente la mode à travers l’histoire. Voici l’affiche :

Elle montre ces fausses croupes faites de plis et de surplis, ces robes entonnoirs très encombrantes pour passer par les portes et toutes ces choses que l’on nous a déjà fait porter sans se préoccuper de la commodité de nos mouvements.
Je sais de quoi il s'agit, j'en ai porté. Je le raconte dans mon tout premier billet !
Là non plus les femmes ne choisissaient pas.
Portons donc des vêtements seyants mais pratiques dans lesquels aucun mouvement ne nous est impossible !
Un mauvais vêtement féminin est un vêtement qui nous impose un désagrement corporel dans le but de plaire aux hommes.
Les hommes s’habillent en dominants, nous en dominées.
Je trouve absolument inadmissible le comportement de ces vieux ringards machistes mais je trouve que nous devrions repenser notre manière de nous vêtir car la plupart du temps nous obéissons à des diktats de dominées.
Oui je sais que c’est difficile de présenter le problème sous un autre angle sans être mal comprise.
Quand je dis la robe est faite pour violer c’est parce que l’on se demande bien qui a décidé de qui portera des robes et qui des pantalons et à l’origine ce n’est pas la femme. La robe est plus pratique pour violer parce que l’on n’a pas à descendre un pantalon, il suffit de soulever la jupe et d’arracher la culotte.
C’est un vêtement qui laisse un peu la femme sans défense.
Sans parler des petites filles qui se font soulever leur jupe.
D’autre part, il y a le fait que la robe est, du coup, interdite aux garçons. Avant cinq ans, certains expriment leur extrême déception de ne pas avoir le droit de porter de robes (j’en ai connu personnellement plusieurs. J'ai même chez moi une photo d'un petit garçon (un allemand)  fêtant son anniversaire en robe à fleurs parce ce que c'est le cadeau qu'il souhaitait pour ses 4 ans et une autre photo d'un autre petit garçon (un français) de 4 ans également virevoltant heureux dans la robe à fleurs que je lui ai prêtée parce qu'il pleurait de frustation de ne pouvoir le faire). Après cinq ans, ils ont honte et se taisent mais le sentiment d’injustice est là. Pourquoi disparaîtrait-il ?
C’est pourquoi je ne trouve pas tout à fait loyal de clamer que nous avons le droit de porter ce que nous voulons et que les hommes doivent se taire (bien sûr je ne parle pas, là, des deux réacs qui ont sifflé Duflot). C’est faux. Nous avons une grande étendue de choix qui nous maintient dans le domaine du chiffon et ce choix qui n'est pas partagé par les hommes, nous piège.
Cette inégalité a encore une fois été occultée dans le débat.

Comment nous habiller ou plutôt ne pas nous habiller ? Tant que les robes à fleurs ne sont pas portées par les hommes, faut-il en porter nous-mêmes ?

De surcroît, les vêtements féminins sont comme par hasard non seulement incommodes mais chers.
Pourquoi George Sand s’habillait-elle en homme ? Non pas pour correspondre à son pseudo d’homme mais parce qu’elle n’avait pas assez d’argent pour emmener ses robes chez le teinturier après avoir fait l’allée-retour à pied chez son éditeur (parce qu’elle ne pouvait pas non plus se payer le fiacre) dans la boue avec une robe qui traîne par terre.
J'ai expérimenté l'habillement masculin pour moi-même mais les coupes sont quand même difficile à porter et je m'évertue maintenant à m'habiller comme un homme mais avec des vêtements qui ont des coupes féminines. Je ne veux plus ressembler à un porte-manteau de mode féminine.
Tant pis pour la liberté de porter ce qui me passe par la tête. Je l'échange contre la liberté d'être à égalité avec l'homme.
J’ai horreur des vieux ringards qui sifflent Duflot dans l’hémicycle mais je n’ai pas envie de répéter tout ce que tout le monde a déjà dit sur la question en omettant de parler de la robe et de son unilatéralité dans la question du genre.


Alors Cécile : ne porte plus de robe à fleurs mais offre leur en une à leur anniversaire  ! 

Ajout du 28.07 :



Le petit garcon à gauche sur la 1re photo porte une
robe à fleurs pour son anniversaire (c'est aujourd'hui
un jeune homme de 23 ans tout ce qu'il y a de masculin). Le petit garcon à gauche sur la 2e photo observe comment la petite fille virevolte avant de faire pareil avec une robe d'emprunt enfilé sur son pyjama. Ses yeux brillent d'envie mais celui qui est aujourd'hui un jeune homme de 20 ans pourrait être reconnu (sans parler de la petite fille qui va me trucider), donc je ne peux les montrer et il faudra me croire sur parole.
 
Et un petit film sur les hommes en jupe. Question : quelle femme est prête à accepter que son conjoint en porte ? A mon avis, l'égalité des genres passe aussi par là !

Ajout du 29.07 : "Faire ce que vous n'osez pas, c'est pour moi être un vrai mec" (déclaration du leader du mouvement Homme En Jupe (HEJ)) ici.

"Porter la jupe pour les hommes c'est briser les barrières entre les sexes", dixit un homme ici.

jeudi 26 juillet 2012

Enlève ton rosaire de mes ovaires


 
 Image empruntée à Hypathie


Il n'est pas facile de reconstituer l'histoire de l'avortement du fait que cette pratique fut pendant longtemps très peu abordée dans la sphère publique.

D'après ce lien : "jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, en France, royaume pourtant "très chrétien", aucune loi ne réprime l’avortement et aucun tribunal n’a jamais condamné des avorteuses ou des avortées, alors que les condamnations à mort pour infanticides sont fréquentes. Comme le dit un juriste en 1780 : "ces crimes [d’avortement], quoique très fréquents ne sont point poursuivis ni punis publiquement parmi nous, à cause de la difficulté qu’il y a d’en convaincre les coupables, la grossesse des femmes pouvant n’être qu’apparente, et son interruption provenir de différents accidents aussi bien que de la Nature.". En effet, les fausses couches (on disait que la femme s’était "blessée") étaient autrefois fréquentes et souvent difficiles à distinguer des avortements provoqués. Les témoignages qui les évoquent sont peu nombreux : le mari lui-même n’est pas toujours averti et le médecin est rarement appelé, sauf s’il y a des complications. Par exemple, pour l’accoucheur Pierre Robin, qui exerce à Reims de 1770 à 1797, les fausses couches, souvent mal distinguées des avortements, ne représentent que 4% de ses interventions".


Sur ce lien, on peut lire à propos de la société antique : "parmi tous les peuples qui entourent Israël l'individualité de l'être humain n'apparaît qu'à la naissance.
Même les sages de la Grèce antique considèrent l'avortement comme une pratique normale. Aristote conseille de limiter les naissances, Platon souhaite l'avortement obligatoire des femmes de plus de 40 ans, Socrate écrit que "le rôle des sages-femmes est de faciliter l'avortement quand la mère le souhaite"."
Mais, par contre, au XVIe siècle, il est dit (sur le même lien) que l'arbitraire papal peut frapper n'importe quand : "(..)en 1588, le pape Sixte-Quint publie la bulle Effraenantum affirmant que tous les avortements sont des crimes méritant l'excommunication, que tous les adultères méritent la pendaison.
Ce fut le signal d'une épouvantable tuerie, (...). Rome a parlé, la cause est jugée. La simple cessation de grossesse même involontaire est punie, et l'on pend, l'on brûle dans toute la chrétienté.
Trois ans après, le pape Grégoire XIV monte sur le trône pontifical et annule les dispositions de son prédécesseur".

Aujourd'hui ce sont les gouvernements qui s'arrogent le droit de légiférer sur l'avortement suivant leur humeur (ou sous la pression de fanatiques catholiques comme le mouvement pro-life).

En Espagne où l'avortement n'est libre que depuis deux ans, on veut déjà revenir en arrière.

Signons la pétition pour empêcher un "retour au moyen âge" qui ne correspond même pas au moyen âge !

Ajout du 27.7 :

Le dessin d'El Roto dans El Pais communiqué par Colo qui parle de cet excellent dessinateur de presse espagnol sur son blog et que je remercie pour la traduction : "Monsieur le Ministre de la Justice, arrêtez de fouiller dans mes ovaires"

lundi 23 juillet 2012

Contraception, avortement, virginité et jalousie des hommes du XVIe siècle envers les "gynécologues"

D'après l'anecdote de Brantôme que je transcris plus bas dans ce billet, la contraception ainsi que l'avortement n'étaient pas étrangers au XVIe siècle. Pour ce qui est de l'avortement, il ne semblait guère soulever de débat éthique comme c'est le cas aujourd'hui où nous sommes bientôt plongé.e.s dans une guerre civile entre "pro vie" et "pro choix". Le foetus de cette époque n'apparaît en rien comme un chrétien dont il faudrait sauver le corps et l'âme et seul l'enfant déjà né semble être considéré comme une personne humaine (l'Église avait apparemment d'autres chats à fouetter, pas comme aujourd'hui).
L'avortement n'est donc pas perçu comme un crime sauf celui de tromperie quand l'avortée se remarie en ayant "réparé" sa virginité à l'aide du même médecin qui l'a fait avorter.
Ces pratiques (avortement + réparation de la virginité) permettant d'être très proches de l'intimité féminine, elles paraissent avoir déclencher un violent sentiment de jalousie auprès des profanes de la médecine dont Brantôme et Ronsard. Apparemment les médecins profitaient parfois des jeunes filles qu'ils soignaient avant d'aller effectuer des prières de repentance à Rome ou à Genève (capitale du calvinisme).
Il est à noter que dans sa description de l'interruption de grossesse, Brantôme se soucie surtout de savoir si la patiente souffre ou non (ce qui me le rend assez sympathique) et si l'opération laisse des traces.   
 

"J'ai connue [une] fille, qui certes méritait d'autres assaillants ; et fut après bien mariée ; et telle qu'on la donna pucelle, telle la trouva t-on. En quoi pourtant je trouve qu'elle fut bien fine : car, puisqu'elle ne pouvait tenir son eau, elle s'adressa à celui qui lui donnait les antidotes pour engarder d'engrosser, car c'est ce que les filles craignent le plus ; dont en cela il y en a de si experts qui leur donnent des drogues qui les engardent très bien d'engrosser ; ou bien, si elles engrossent, leur font écouler leur grossesse si subtilement et si sagement que jamais on ne s'en apercoit, et n'en sent-on rien que le vent ; ainsi que j'en ai ouï parler d'une fille, laquelle avait été autrefois nourrie fille de la feue reine de Navarre, Marguerite première. Elle vint par cas fortuit, ou à son escient, à engrosser, sans qu'elle y pensa pourtant. Elle rencontra un sublin apothicaire qui, lui ayant donné un breuvage, lui fit évader son fruit, qui avait déjà six mois, pièce par pièce, morceau par morceau, si aisément qu'étant à ses affaires jamais elle n'en sentit ni mal ni douleur ; et puis après se maria galantement, sans que le mari y connut aucune trace. Quel habile médecin ! Car on leur donne des remèdes pour se faire paraître vierges et pucelles comme devant [avant], ainsi que j'en ai allégué au chapitre des cocus, et un que j'ai ouï dire à un empirique ces jours passés : qu'il faut avoir des sangsues et les mettre à la nature, et s'en faire par là tirer et sucer le sang, lesquelles sangsues, en suçant, laissent et engendrent de petites ampoules et fistules pleines de sang ; si bien que le galant mari, qui vient le soir des noces les assaillir, leur crève ces ampoules dont le sang en sort, et elle s'ensanglante, qui est une grande joie à l'un et à l'autre ; et par ainsi l'onor della citadella é salvo [l'honneur de la citadelle est sauf]. Je trouve ce remède bon et souverain, s'il est vrai, et, s'il n'est bon, il y en a cent d'autres qui sont meilleurs, ainsi que le savent très bien ordonner, inventer et appliquer ces messieurs les médecins, savants et experts apothicaires. Voilà pourquoi ces messieurs ont ordinairement de très bonnes et belles fortunes, car ils savent blesser et remédier, ainsi que jadis fit la lance de Péleus [Pelée*]. 
J'ai connu cet apothicaire dont je viens de parler ast'heure, duquel faut que je dise ce petit mot en passant, que je le vis à Genève la première fois que je fus en Italie, parce que pour lors ce chemin par là était commun pour les Français, et par les Suisses et Grisons, à cause des guerres. Il me vint voir à mon logis, soudain je lui demandai ce qu'il faisait en cette ville, et s'il était là pour médiciner les belles filles, comme il avait fait en France. Il me répondit qu'il était là pour en faire la pénitence. "Comment ! (ce dis-je) est-ce que vous n'y mangez de si bons morceaux comme là ? - Ha ! Monsieur (me répliqua-il), c'est parce que Dieu m'a apellé et que je suis illuminé de son esprit, et que j'ai maintenant la connaissance de sa sainte parole. - Oui (lui dis-je), et de ce temps-là si étiez-vous de la religion, et si vous mêliez de médiciner les corps et les âmes, et prêchiez et instruisiez les filles. - Mais, Monsieur, je reconnais ast'heure mieux mon Dieu (répliqua-il encore) qu'alors, et ne veux plus pécher". Je tais force autres propos que nous eûmes sur ce sujet, tant sérieusement qu'en riant ; mais ce maraud jouit de ce beau con, qui était bien plus digne d'un galant homme que lui. Si est-ce que bien lui servit de vider cette maison de bonn'heure, car mal lui en eût pris.
Or, laissons cela. Que maudit soit-il, pour l'haine et envie que je lui porte, ainsi que M. de Ronsard parlait à un médecin qui venait plutôt voir sa maîtresse soir et matin pour lui tâter son tétin, son sein, son ventre, son flanc et son beau bras, que pour la médiciner de la fièvre qu'elle avait ; dont il en fit un très gentil sonnet, qui est dans son segond livre des Amours, qui s'accomance :

Hé ! que je porte et de haine et d'envie
Au médecin qui vient soir et matin,
Sans nul propos, tâtonner le tétin,
Le sein, le ventre et le flanc de ma mie".


(Il faut dire que les médecins étaient loin de jouir d'une aura aussi respectable qu'aujourd'hui).


Fichier:Eucharius Rösslin - Der schwangeren Frauen und Hebammen Rosengarten.jpg

(Texte tiré des "Dames galantes" de Brantôme ; illustrations tirées de Der schwangeren Frauen und Hebammen Rosegarten (Le jardin de roses des femmes enceintes et des sages-femmes) d'Eucharius Rösslin, 1513. Ill.1 parturiente sur une chaise à accoucher en forme de "U" ; ill.2 positions de jumeaux dand l'utérus)

* Mythologie grecque : lorsque Thétis épouse Pélée, il reçoit en cadeau de Chiron une lance fabriquée par ses soins, dont hérite Achille avant de partir à la guerre de Troie. Cette lance, faite pour la main d'Achille et qu'il est le seul à pouvoir brandir, est celle qu'il utilisera pour guérir Télèphe en enlevant la rouille.

jeudi 19 juillet 2012

Le poil féminin au XVIe siècle

Comme on souhaite désormais une Terre aride débarrassée de ses arbres et de sa végétation (semblerait-il, vu le soin que l'on met à raser toutes les forêts), on ne veut plus voir sur le corps de la femme le moindre poil à l'exception des cheveux de sa tête.
 Mais il n'en a pas toujours été ainsi, bien au contraire si l'on en croit Brantôme qui donne quantité de détail intime sur le corps des femmes dans "Les dames galantes".
(image empruntée à Héloïse)

A propos du poil corporel :


"J'ai ouï parler d'une dame grande, et l'ai connu et connais encore, qui est pelue, velue sur la poitrine, sur l'estomac, sur les épaules et le long de l'échine, et à son bas, comme un sauvage. Je vous laisse à penser ce que veut dire cela. Si le proverbe est vrai, que personne ainsi velue est ou riche ou lubrique, celle-là a l'un et l'autre, je vous en assure ; et s'en fait fort bien donner, se voir et désirer".

A propos du poil pubien :

"Les unes y ont le poil nullement frisé, mais si long et pendant que vous diriez que ce sont les moustaches d'un Sarrazin ; et pourtant n'en ôtent jamais la toison, et se plaisent à la porter telle, d'autant qu'on dit : Chemin jonchu et c.. velu sont fort propre pour chevaucher. J'en ai ouï parler de quelqu'une très-grande qui les porte ainsi.
J'ai ouï parler d'une autre belle et honnête dame qui les avait ainsi longues qu'elles les entortillait avec des cordons ou rubans de soie cramoisie ou autre couleur, et puis se les attachait à ses cuisses ; et en tel état quelquefois se les présentait à son mari et à son amant ; ou bien se les détortait de son ruban et cordon, si qu'elles paraissaient frisonnées par après, et plus gentilles qu'elles n'eussent fait autrement.
(...)
Aucunes, au contraire, se plaisent le tenir et porter ras comme la barbe d'un prêtre.
D'autres femmes y a t-il qui n'y ont de poil point du tout, ou peu, comme j'ai ouï parler d'une forte grande et belle dame que j'ai connue ; ce qui n'est guère beau, et donne un mauvais soupçon : ainsi qu'il y a des hommes qui n'ont que de petits bouquets de barbe au menton, et n'en sont pas plus estimés de bon sang, ainsi que sont les blanquets et les blanquettes*".

(* blanc-bec)

Charlotte Roche qui demande ici aux dames d'avoir de l'imagination pour mettre en valeur leur pilosité au lieu de la détruire, devrait bien s'inspirer de nos aïeules !:)

Aujourd'hui malheureusement on va jusqu'à faire une publicité intempestive pour l'épilation des jeunes filles mineures comme le signale Sophie Gourion du blog "tout à l'ego". Plus nue que nue et cela dès l'enfance ! Mais à part ça il y a du progrès sur le front de l'oppression féminine, si, si.

lundi 16 juillet 2012

Accouchement historique



 

Je n'ai évidemment pas manquer de visiter le célèbre château de Pau un peu trop abusivement appelé "château de Henri IV", étant donné qu'il fut aussi bien un peu celui de Gaston Phébus et d'Henri d'Albret, deux monarques à l'origine des plus importantes transformations d'icelui, ainsi que le château de Marguerite de Navarre et celui de sa fille la reine Jeanne III, mère d'Henri IV qui y abjura le catholicisme le jour de Noël 1560.
Il fut d'ailleurs bien un peu aussi le château de Catherine de Bourbon, dont je n'ai pas encore parlé mais ça viendra.
J'ai suivi la visite guidée afin de tester le guide sur plusieurs points. Devant une ancienne maquette du château, j'ai pu constater qu'il ignorait complètement que les jardins ont été créés par Marguerite de Navarre. Lorsque je le lui ai fait remarquer ce "détail", il m'a répondu "C'est possible" comme si cela avait une importance très mineure voire pas d'importance du tout.
Or on citait autrefois la "Plante de Pau" de Marguerite de Navarre comme on citait les Tuileries à Paris. Je ne l'invente pas, c'est écrit par exemple ici.
Il y avait la "Haute Plante" et la "Basse Plante". Une lithographie de 1834 montre le château vu de la Basse Plante ici.  Je ne sais pas si les arbres extraordinaires que l'on peut encore y voir descendent de ceux plantés au temps de Marguerite mais ils m'ont impressionnée.
Malheureusement, toute la présentation du château de Pau n'est rien d'autre qu'un hymne à la seule gloire d'un unique et exclusif personnage, à savoir Henri IV qui est certes né là mais qui n'y séjourna que rarement.

Je m'attendais au moins à y voir dans la pièce qui l'a vu naître, le tableau bien connu d'Eugène Devéria (v. 1827) représentant Henri d'Albret brandissant le célèbre nouveau-né avec (à gauche du tableau) la parturiente Jeanne d'Albret épuisée et heureuse. (Elle a accouché en public).
Tableau dont voici l'esquisse :
La naissance de Henri IV
Point du tout. Dans la salle qui a vu naître notre Henri IV national se trouve un tableau de sa.....mort !


Son assassinat par Ravaillac.
Celui qui lui donna la mort compte plus que celle qui lui donna la vie...dingue, non ?  Ci-dessus le seul tableau visible dans la salle qui a vu naître Henri IV.

A propos des oeuvres exposées dans l'ensemble du château, on peut en voir un certain nombre sur ce blog mais l'unique tableau représentant la mère de Henri IV n'y est pas. Je ne connaissais d'ailleurs pas cette peinture et si on peut la voir quelque part dans une petite salle du château, on ne peut l'acheter ni en carte postale ni en trouver la plus petite reproduction dans l'un des guides du château. Et pourtant si Jeanne n'avait pas fait de son fils un huguenot, jamais il n'y aurait eu d'Édit de Nantes ! Alors je me réserve de vous montrer une mauvaise version scannée du seul portrait en pied de cette grande femme, la voici (je l'ai déjà mise en haut, je la replace en bas) :


Je l'ai curieusement trouvé sur un Myspace consacré à Jeanne d'Albret !

On ne peut pas dire que l'hommage fait à la mère du héros historique français le plus adulé soit bien grand dans l'endroit où elle en a accouché et dont les représentations et le nom s'étalent partout !

Edit : pour celleux qui croiraient encore que le XXIe siècle est moins sexiste que le XVIe siècle, cet article sur certains cadeaux de naissance principalement pour nouvelles-nées me confirme encore une fois de plus qu'il ne fait que se nicher ailleurs désormais, et dans les endroits les plus inattendus !

vendredi 13 juillet 2012

"Fictivisation"

La fictivisation des femmes historiques fait tranquillement son chemin à notre insu par l'intermédiaire de l'art et de la littérature et surtout sous couvert d'art.
J'ai créé ce néologisme pour expliquer un phénomène qui peut nous éclairer sur la disparition de l'immense majorité des femmes dans l'espace-temps.
On commence par romancer la vie de l'une de ses personnes en son temps célèbre en faisant reculer en arrière-plan son influence politique et en ne conservant que des éléments particuliers de sa vie amoureuse. On enfle et "sexyise" ces éléments, on ressasse la même histoire déformée au moyen de supports toujours différents et en forçant encore le trait jusqu'à faire d'elle une putain (ou assimilée). Enfin on décrète que l'auteur qui, le premier, a romancé sa vie, l'a CRÉÉE (Complexe de l'enfantement ?). Même si cette allégation est fausse en tout point.
Je cherche en vain un équivalent de ce traitement envers les hommes historiques. Un personnage masculin qui subirait ce sort, aurait à coup sûr commis le crime de s'opposer ou d'avoir émis des idées opposées au système féminicide (la fictivisation de la femme en étant une forme).

Je lis actuellement "Les dames galantes" de Pierre de Bourdeille dit Brantôme aux éditions folio. Je n'ai rien à redire ici de la couverture de ce livre par contre le TITRE n'est pas l'original (mais folio ne fait que reprendre un titre adopté depuis plusieurs siècles). Jamais Brantôme n'a appelé son recueil "les dames galantes". Ce titre insinue qu'il fait l'inventaire de femmes légères de son temps voire de putains (encore). Or ce n'est pas ce qu'il fait. Il ne fait qu'aborder le sujet "femme" sous tous les angles qui l'intéressent : la beauté, la laideur, la jeunesse, la vieillesse, la sensualité, etc...les vertus qui attirent les femmes, avec exemples à l'appui pêchés dans ses expériences personnelles, celles des autres et dans ses lectures.

C'est pourquoi le titre original est "Dames".

A propos de l'aspect "vertus qui plaisent aux femmes", à la p. 354 du livre, Brantôme donne pour exemple de femmes qui aiment le courage : Penthésilée et Thalestris. Voilà des exemples que nous ne prendrions plus aujourd'hui car ces deux personnages féminins ont été complètement fictivisés. Apparemment Brantôme, quant à lui, ne les prend pas pour des légendes.

La généreuse belle reyne Pantasilée, la renommée luy ayant fait à
sçavoir les valeurs et vaillances du preux Hector, et ses merveilleux
faits d'armes qu'il faisoit devant Troye sur les Grecs, au seul bruit
s'amouracha de luy tant, que, par un désir d'avoir d'un si vaillant
chevalier des enfants, c'est-à-dire filles qui succédassent a son
royaume, s'en alla le trouver à Troye, et, le voyant, le contemplant et
l'admirant, fit tout ce qu'elle peut pour se mettre en grâce avec luy,
non moins par les armes qu'elle faisoit, que par sa beauté, qui estoit
très-rare; et jamais Hector ne faisoit saillie sur ses ennemis qu'elle
ne l'y accompagnast, et ne se meslast aussi avant que Hector là où il
faisoit le plus chaud; si que l'on dit que plusieurs fois, faisant de si
grandes proüesses, elle en faisoit esmerveiller Hector, tellement qu'il
s'arrestoit tout court comme ravy souvent au milieu des combats les
plus forts, et se mettoit un peu à l'escart pour voir et contempler
mieux à son aise cette brave reyne à faire de si beaux coups. De-là en
avant il est à penser au monde ce qu'ils firent de leurs amours, et
s'ils les mirent à exécution: le jugement en peut estre bientost donné;
mais tant y a que leur plaisir ne peut pas durer longuement; car elle,
pour mieux complaire à son amoureux, se précipitoit ordinairement aux
hasards, qu'elle fut tuée à la fin parmi la plus forte et plus cruelle
meslée. Aucuns disent pourtant qu'elle ne vid pas Hector, et qu'il
estoit mort devant qu'elle arrivast, dont arrivant et sçachant la mort,
entra en un si grand dépit et tristesse, pour avoir perdu le bien de sa
veuë qu'elle avoit tant desiré et pourchassé de si loingtain pays,
qu'elle s'alla perdre volontairement dans les plus sanglantes batailles,
et mourut, ne voulant plus vivre puisqu'elle n'avoit peu voir l'objet
valeureux qu'elle avoit le mieux choisi et plus aimé. 
 
Pusillanimité ?

De mesmes en fit
Tallestride, autre reyne des Amazones, laquelle traversa un grand pays,
et fit je ne sçay combien de lieuës pour aller trouver Alexandre le
Grand, luy demandant par mercy, ou à la pareille, de ce bon temps que
l'on faisoit, et le donnoit-on pour la pareille; coucha avec luy pour
avoir de la lignée d'un si grand et généreux sang, l'ayant ouy tant
estimer; ce que volontiers Alexandre luy accorda; mais bien gasté et
dégousté s'il eust fait autrement, car la digne reyne estoit bien aussi
belle que vaillante. Quinte Curce, Oroze et Justin l'asseurent, et
qu'elle vint trouver Alexandre avec trois cents dames à sa suite, tant
bien en point et de si bonne grace, portans leurs armes, que rien plus;
et fit ainsi la révérence à Alexandre, qui la recueillit avec un
très-grand honneur, et demeura l'espace de treize jours et treize nuicts
avec luy, s'accommoda du tout à ses volontez et plaisirs, luy disant
pourtant tousjours que si elle en avoit une fille, qu'elle la garderoit
comme un très-précieux trésor: si elle en avoit un fils, qu'elle luy
envoyeroit, pour la haine extreme qu'elle portoit au sexe masculin, en
matiere de regner, et avoir aucun commandement parmy elles, selon les
loix introduites en leurs compagnies depuis qu'elles tuèrent leurs
marys. Ne faut douter là-dessus que les autres dames et sous-dames n'en
firent de mesme et ne se firent couvrir aux autres capitaines et
gendarmes du dit Alexandre; car, en cela, il falloit faire comme la
dame.
 File:Thalestris, Queen of the Amazons, visits Alexander (1696).jpg
Brantôme ne s'intéressent pas tellement non plus à toute la biographie de ces deux figures
de l'antiquité. Du moins, apprend-on de lui qu'elles choisissaient soigneusement avec
quelles sortes d'hommes elles concevraient des filles pour leur succéder, les 
qualités de courage et de combativité ayant été semble t-il les plus prisées 
(ça n'était pas le système banque de sperme anonyme à l'époque).

Pour celleux qui s'intéressent à ce thème un très beau billet sur les amazones d'hier et d'aujourd'hui superbement illustré : c'est sur le blog un tableau-une histoire  

vendredi 6 juillet 2012

Affaire Sibylle de Valois (suite)

A picture of Marguerite Valois, first wife of King Henri IV of France


Tania du blog Textes et prétextes, que je recommande fort aux amateurs/trices de littérature pour sa grande qualité de présentations (toujours magnifiquement illustrée) des livres les plus passionnants, a, contrairement à moi, reçu une réponse des éditions folio à sa plainte concernant l'étrange couverture de "La reine Margot" illustrée avec une peinture de Cranach représentant la duchesse Sibylle de Clèves. Voilà le contenu de la réponse :

Chère Madame,
Je vous remercie pour votre message. J'ai bien lu l'article du blog que vous m'avez indiqué, ainsi que les commentaires. Les couvertures de Folio, et tout particulièrement de Folio classique, sont rarement illustratives. Elle sont évocatrices d'une atmosphère, d'une idée, d'un message. Il ne s'agit de privilégier ni la vérité historique, qui n'est pas le propos principal d'une oeuvre de fiction, ni la beauté, bien discutable de manière générale. La reine Margot de Dumas n'est pas simplement l'héroïne historique: elle est aussi et surtout un personnage de fiction, recréé et rêvé par Dumas. Nulle démagogie de notre part quand nous illustrons La Reine Margot par une magnifique photo de Jeanne Moreau dans le film de Jean Dréville de 1954, dans notre ancienne édition de l'oeuvre. Nulle erreur historique quand, dans notre nouvelle édition du roman, nous l'illustrons par un autre personnage. Nous refusons simplement les lectures au pied de la lettre. Et nous appliquons ce principe aux personnages féminins comme masculins: pour illustrer Jeanne d'Arc de Michelet nous mettons une photo de Jean Seberg dans le film d'Otto Preminger, Sainte Jeanne; pour illustrer Henry V de Shakespeare, nous ne choisissons pas un portrait du roi Henri V mais une miniature médiévale représentant deux chevaliers. Enfin, quant à la question du féminisme, il est mal à propos d'accuser une profession, celle d'éditeur, mais aussi de graphiste et d'attaché de presse, particulièrement féminisée, notamment chez Gallimard. Nous sommes sensibles à la question des femmes comme à celle de toutes les minorités, attentifs à ce que nos couvertures ne heurtent aucune sensibilité, sans pour autant nous interdire de susciter la réflexion. Et nous ne mettons pas de politique dans des domaines, la littérature et l'art, qui ont souvent pour rôle de transcender les préoccupations politiques et communautaires. 
En vous remerciant de votre intérêt pour notre collection, je vous prie d'agréer, chère Madame, l'expression de mes meilleures salutations.

Nous apprenons donc que les images de couverture, chez folio, sont :

"rarement illustratives" : sans doute est-ce pour cela qu'elles s'appellent "illustration de couverture" mais la personne qui écrit la lettre a sûrement voulu dire "explicative" ou "représentative", soit...."rarement" ? Est-ce à dire qu'elles le sont parfois ? Quels sont alors les critères permettant d'avoir sur la couverture de ce livre un portrait de la reine Margot ou une image "évoquant" le contexte véritablement historique ?

"évocatrices d'une atmosphère, d'une idée, d'un message" en effet, ici, le message doit être "la reine Margot était une petite fofolle de 14 ans au nez mutin et aux yeux en amande qui laissait ses cheveux roux étalés sur ses épaules et se couronnait d'une plume attachée à une couronne de fleurs tressées façon indienne mais avec la plume par devant et s'habillait comme une allemande du temps de son arrière-grand-mère". Or le problème c'est qu'il s'agit là d'une femme ayant réellement existé et qui s'appelle Sibylle de Clèves.
Sibylle de Clèves n'est ni un atmosphère, ni une idée, ni un message, elle est aussi un personnage historique.

La reine Margot ne serait pas, je cite :

"simplement l'héroïne historique..." il semble y avoir ici confusion entre Marguerite de Valois et Jeanne d'Arc. Marguerite de Valois n'a jamais été considérée comme une "héroïne historique" mais comme un personnage historique, ce n'est pas la même chose. Elle n'a pas d'actes héroïques à son actif. Elle a marqué son époque de différentes façons sans sacrifices spectaculaires mais avec une présence certaine. Seulement voilà, la phrase n'aurait plus fonctionné si notre correspondante des éditions folio avait utilisé le mot "personnage", cela aurait donné la phrase suivante : "La reine Margot de Dumas n'est pas simplement le personnage historique : elle est aussi et surtout un personnage de fiction" voilà qui dévoilerait le véritable sens de la pensée de l'équipe folio. Pour elle, Marguerite de Valois est essentiellement un personnage de fiction. Voilà ce qu'elle veut nous dire. Et en effet, c'est bien le reproche qui est fait ici c'est de rendre de plus en plus fictif un personnage historique qui a existé, au besoin en gommant son visage pour un mettre un autre à la place.

Marguerite de Valois serait donc :
 
"un personnage de fiction, recréé et rêvé par Dumas". Tiens, ici apparaît le mot personnage. Marguerite de Valois ne serait donc pas une figure historique mais la marionnette de Dumas. Or c'est faux. Alexandre Dumas ne raconte rien sur Marguerite de Valois qui soit plus faux que ce qu'il raconte sur Charles IX, Henri de Navarre, Catherine de Médicis, Gaspard de Coligny et tous les personnages les plus historiques de ce roman. De plus, Dumas s'appuie sur les "Mémoires" de Marguerite de Valois,  "Mémoires" sans lesquelles il n'aurait jamais écrire ce roman, raison pour laquelle il lui rend hommage en intitulant son oeuvre "La reine Margot", alors qu'elle parle très peu de la reine Margot et beaucoup plus d'Henri de Navarre. Mais les anecdotes comme celle où la Mole arrive tout ensanglanté dans la chambre de Marguerite la nuit de la Saint-Barthélémy est l'une de celles que Dumas a emprunté aux Mémoires de M. de V., ainsi que l'atmosphère d'intrigues, les problèmes entre mère et fille, le caractère influençable de Charles IX, la maîtresse mise dans le lit du roi de Navarre, etc. Tout cela Dumas le tient de Marguerite de Valois en personne. Il n'a donc rien "rêvé", juste brodé d'après ces sources et mis en scène.
Dumas n'est pas une sorte de Pygmalion qui aurait inventé Marguerite de Valois mais c'est bien plutôt Marguerite de Valois (et Brantôme) qui a (ont) fait de Dumas le romancier de "La reine Margot".

Ainsi la représentation de "Margot" sous les traits de Sibylle de Clèves est doublement une imposture.

"Nulle démagogie de notre part quand nous illustrons La Reine Margot par une magnifique photo de Jeanne Moreau dans le film de Jean Dréville de 1954" non seulement personne n'a parlé de "démagogie" mais personne n'est dérangé par le fait qu'une actrice ayant interprété la reine Margot figure sur la couverture du roman du même nom. Quel rapport avec la plainte ? En tout cas, aucun avec Sibylle de Clèves qui n'a jamais fait de cinéma et encore moins interprété le rôle de Marguerite de Valois, qu'elle n'aurait pas pu connaître puisqu'elle est morte un an après sa naissance ! 

Pour illustrer sa soi-disant absence de sexisme, la correspondante de chez folio utilise, un argument de poids (c'est de l'ironie) :
"pour illustrer Henry V de Shakespeare, nous ne choisissons pas un portrait du roi Henri V mais une miniature médiévale représentant deux chevaliers" deux chevaliers anonymes, oublie t-elle de préciser ! Or Sibylle de Clèves, encore une fois, n'est pas anonyme ! Quant à Henri V, il ne fait pas partie de l'histoire de France. Marguerite de Valois, si.

D'après notre argumentatrice, les femmes seraient par essence féministe, donc il n'y a pas de sexisme dans la démarche  :
"quant à la question du féminisme, il est mal à propos d'accuser une profession, celle d'éditeur, mais aussi de graphiste et d'attaché de presse, particulièrement féminisée" la dame n'a pas l'air au courant que le féminisme n'est pas associée à la féminité et que "femme" n'est pas synonyme de "non-sexiste à l'égard des femmes". Nous avons assez d'exemples de femmes qui travaillent avec autant d'acharnement à l'oppression des femmes que si elles étaient des hommes !

"Nous sommes sensibles à la question des femmes comme à celle de toutes les minorités (sic) (il y a 52% de femmes sur la planète), attentifs à ce que nos couvertures ne heurtent aucune sensibilité, sans pour autant nous interdire de susciter la réflexion." En tout cas , la minorité des allemand.e.s qui serait en droit de demander ce que fait "leur" Sibylle de Clèves sur le roman de Dumas n'a pas tellement été prise en compte. Oui, cette couverture "suscite" en effet "la réflexion" suivante : il est tout à fait préjudiciable à ladite "minorité" qui n'en est pas une mis à part dans l'esprit des machistes, de profiter d'un roman pour enterrer un peu plus la véritable identité de femmes qui ont réellement existé sous le prétexte qu'elles nous sont à peine connues.
Il serait peut-être temps de comprendre qu'il faut au contraire restituer à chacune son histoire et rendre enfin à Galla Placidia ce qui appartient à Galla Placidia.

Et le meilleur pour la fin :
"Et nous ne mettons pas de politique dans des domaines, la littérature et l'art, qui ont souvent pour rôle de transcender les préoccupations politiques et communautaires". Se plaindre de cette couverture serait donc une démarche atrocement politique alors que le roman n'est là que pour divertir et faire rêver. Admirons la subtilité du vocabulaire "transcender les préoccupations politiques et "communautaires" : les féministes deviennent une "communauté"...pourquoi pas un secte ? C'est ce que cela semble sous-entendre).

Faux raisonnement car l'art possède de fait une dimension morale et politique. Il n'y a pas de barrière entre l'art d'une part et la politique et la morale d'autre part. Le premier à le démontrer est Dumas lui-même qui a, certes, pris de grandes libertés avec l'histoire mais pas au point d'effacer tout repère.
Et d'ailleurs pourquoi la dénonciation du sexisme devrait-elle se cantonner dans le domaine politique ?

 Or nous sommes dans la société de l'Oréal où faire rêver veut dire posséder une abondante chevelure rousse répartie librement sur les épaules. On est dans la logique l'Oréal pour qui les femmes ont à être jeunes et interchangeables et de préférence anonymes. Les repères historiques, moraux et politiques n'ont plus la moindre importance dans le monde de l'Oréal. Seuls comptent le profit.
Ceci est éminemment politique et particulièrement (im)moral.

Enfin, j'aimerais poser cette question à ces messieurs-dames des éditions folio : avez-vous lu la reine Margot ? Que penserait à votre avis Alexandre Dumas lui-même du choix  de votre couverture ? Pas sûr qu'il aimerait. C'était un homme qui AIMAIT L'HISTOIRE, lui, messieurs-dames, et la respectait bien plus que ça. Sans quoi il n'aurait pas écrit des romans historiques, évidemment !





 Cette couverture est celle de l'exemplaire du roman que je possède personnellement. Voilà une couverture que j'appelerais "évocatrice". Les vêtements sont d'époque, et l'attitude des personnages "évoquent" le contexte de la Saint-Barthélémy. Rien à redire. 


 



Ceci est la couverture d'un roman classique allemand : "La jeunesse du roi Henri IV", de Heinrich Mann.
Tiens, c'est bizarre. C'est le portrait d'Henri IV qui orne la couv'...Cela dit, il y a des couvertures de ce roman sans Henri IV, parce qu'il n'est pas connu en Allemagne. Néanmoins on ne l'a pas remplacé par un allemand (ou un autrichien, un hongrois, un tchèque, etc.) qui pourrait être son arrière grand-père !
[Pour les personnes qui ne le sauraient pas : Marguerite de Valois fut mariée à Henri IV].

(Illustration du haut : Marguerite de Valois avec une toque d'homme (Brantôme raconte qu'elle aimait porter des toques d'homme. Dans "Les dames galantes" il dénigre les femmes qui s'habillent en homme mais fait une exception pour Marguerite de Valois pour laquelle il a une énorme considération. S'il savait ce que l'on en fait aujourdhui...).


Conclusion : achetez le roman aux éditions "J'ai Lu" !

jeudi 5 juillet 2012

Espèce de vache

Non ce n'est pas de femmes cette fois, que je parle mais de vaches.
Non, mon titre n'est pas à interpréter comme une insulte mais doit être pris au premier degré. Je parle vraiment d'une espèce de vache.
(Oui comme avec les femmes ("espèce de fille", "femmelette",...) on peut dégrader quelqu'un avec simplement le nom d'un animal qui pourtant n'en peut mais. 
D'ailleurs je peux bien parler de vaches, puisque femmes et animaux ont un peu le même destin en ce monde.
Les animaux sont néanmoins un peu plus traités comme un tas indistinct que les femmes. Cependant, ne vous y fiez pas, la différence reste plus petite que vous ne croyez (voir mon billet intitulé Sibylle de Valois).
 J'ai aussi envie de faire un clin d'oeil à lucrecia bloggia qui a publié plusieurs séries de ce genre, sympathiques et drôles sur les vaches de ses contrées, ainsi qu'à insolente veggie et sa présentation d'un livre très intéressant sur la propagande mensongère concernant les vertus du lait de vache (vidéo ici) et à Hypathie qui nous détaille un peu ce que veut dire être une usine à lait pour la ruminante la plus exploitée de notre planète. 
Celle dont je souhaite vous parler est béarnaise. Comme j'ai fait un petit tour en Béarn, j'ai cherché à la voir en vrai mais sans succès et pourtant elle existe.
Elle est présente depuis longtemps sur les armoiries de la région : « D'or aux deux vaches de gueules, accornées, colletées et clarinées d'azur, passant l'une sur l'autre », ce qui signifie « sur fond jaune doré, deux vaches rouges aux cornes, au collier et à la cloche bleue ».
Elle évoquerait l'animal sacré des Vaccéens* dont les Béarnais seraient les descendants.
Présente depuis des temps immémoriaux en Béarn dans les vallées d’Aspe et du Lourdios, elle fut représentée à partir du XIIIe siècle sur la monnaie du Béarn, « la baquette », frappée à son effigie… Ce serait une vache laitière très rustique, issue de l’ancienne race « Blonde des Pyrénées ». Ses belles cornes vrillées, très longues, ont la forme d'une lyre. Elle aurait un tempérament vif et un pied sûr de montagnarde. Elle bénéficie aujourd'hui d'un programme de conservation car n'étant pas assez rentable pour une industrie agro-alimentaire mortifère, la voilà, comme beaucoup d'autres vaches d'Europe, en voie de disparition.
Dans cet encadré pêché sur un site consacré au Béarn , on trouve d'autres informations sur elle :







                        l'image de l'ours,  notre belle vachette béarnaise est en voie de disparition , comme si les 2 ennemis intimes ancestraux étaient en fait liés , mystérieusement, pour l'éternité. Leur destinée commune a quand même quelque chose de vraiment surprenant. Nos baquettes ont frôlé la disparition à la fin du XVIII° des conséquences d'un épizootie. Sa robustesse lui permit de survivre, mais c'était pour mieux se trouver croisée quelques décennies plus tard, avec la garonnaise ou la Quercy , pour donner naissance à la célèbre blonde d'Aquitaine.
                       Alors qu'on comptait 360.000 vaches de race béarnaise en 1937 et encore 200.000 en 1962 , on n'en comptait plus que 120 en 1978, presque uniquement en vallée d'Aspe, et ce, malgré l'étendue de ses qualités.
Maintenant la béarnaise n'est plus présente que dans une petite dizaine de troupeaux, mais son nombre est en augmentation .  La plupart des rescapées se trouvent dans des élevages du Haut-Béarn , comme ceux de Patrick Prétou à Lourdios, Bernard Cimora à Précilhon, Roger Betbeder à Escot, Bernard Mora à Arros(Asasp) , Germain Laulhive etc.... Il ne reste plus que 150 vaches béarnaises et 18 taureaux à semence. La politique agricole des années 60 a fait presque disparaître la race béarnaise au profit de l'appellation "Blonde d'Aquitaine" qui est une race hybride créée par l'homme. (voir plus haut)
          
La nouste baquette est facilement identifiable par sa belle robe rousse aux reflets dorés, la finesse de ses traits et ses cornes dont tout le monde associe la forme, à la lyre. On n'hésite pas à dire qu'elle est élégante. Elle est agile, et très adaptée au milieu montagnard . C'est un animal rustique , très résistant, quelque peu nerveux, comme toutes les bêtes de race.  C'est une excellente mère, qui se sacrifie  pour sa progéniture, quitte à dépérir et à en devenir squelettique.
Son intelligence est surprenante: elle connaît son monde et réagit spécifiquement aux personnes, et aux circonstances: c'est ainsi que nos "béarnaises" savent  faire front face à l'ours. Elles forment tout simplement un cercle (comme les pionniers américains face aux indiens) et présentent leurs cornes acérées au plantigrade qui fuit sans demander son reste.
           
Son intelligence n'empêche pas notre baquette de garder un côté sauvage, empreint d'une certaine fierté . Une fierté qui fait que dans les estives, elle ne peut supporter la présence d'autres vaches au-dessus d'elles, quitte à leur abandonner de meilleurs herbages.
La viande de la béarnaise est très savoureuse, mais elle a été sacrifié sur l'autel de rendement, car elle a été trouvée insuffisamment charnue et laitière . On sait bien que la quantité prime, depuis belle lurette, sur la qualité.

           Les béarnais sont très fiers d'avoir la vache pour emblème: d'ailleurs au moyen-âge, elle figurait sur les monnaies béarnaises.
Les béarnais s'identifient à son côté  généreux, à son dévouement, à son sens du groupe et à sa capacité d'abnégation sans borne....
Elle a donné aux béarnais leur cri de guerre "BIBA LA BACA" , qui leur permet de se sublimer


*Les Vaccéens : peuple celtibère (hispano-celtique) qui vivait vers les sources du Duro au Portugal. Repoussé vers le nord par les Wisigoths, il choisit les territoires au pied des Pyrénées que sont aujourd'hui la Navarre, le Nord-Aragon, le Béarn et la Bigorre. Les Vaccéens pratiquaient le culte de la vache sacrée.

Comme quoi, la vache n'a pas toujours été cette machine à produire du lait à laquelle nous l'avons réduite.

Voici ce qu'au XVIe siècle, François Ier disait de nous autres femmes et animaux : "un gentilhomme, tant superbe soit-il, ne saurait mieux recevoir un seigneur, tant grand soit-il, en sa maison ou château, [sans] qu'il y opposat à sa vue et première rencontre une belle femme sienne, un beau cheval et un beau lévrier : car, en jetant son oeil tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre, et tantôt sur le tiers, il ne saurait jamais fâcher [personne] en cette maison ; mettant ces trois choses belles pour très plaisantes à voir et admirer, et en faisant [faire] cet exercice très agréable".

..."ces trois choses"....


Et pour finir à propos de vaches : J'ai eu autrefois une élève sud-africaine qui lors d'un de mes workshops a fait un magnifique livre sur les vaches Nguni avec la signification cosmique de leurs taches dans la tradition ancestrale zoulou. Mais, bien sûr, elle n'a guère trouvé d'éditeur.
La vache Nguni est exploitée pour sa peau qui doit essentiellement restée décorative, sans la moindre signification.

Ajout du 06.07.2012 : pour un traitement humain des vaches, une pétition à signer ici

Ajout du 28.07.2012 : encore un lien qui explique très bien pourquoi le lait de vache c'est pour les veaux.