mardi 15 juin 2010

Sofonisba Sophonisba Sophonisbé

Avant de donner ce prénom à votre fille, sachez que dans l'Italie du XVIe siècle, on avait une certaine conception de l'héroisme féminin d'où le choix des prénoms de fille comme : Lucrèce, Didon, Porcie ou Sophonisbé. Il faut savoir qu'ils correspondent tous à des femmes qui se sont suicidées. Mais non pas par désespoir comme on le ferait aujourd'hui : par sacrifice.
Dans l'Heptaméron de Marguerite de Navarre, oeuvre d'époque dans laquelle les relations entre les hommes et les femmes sont excellement mis en relief, il est question dans la deuxième nouvelle de mettre en récit les mérites d'une femme, une muletière (épouse de muletier) qui aurait témoigné d'après le narrateur (chaque nouvelle étant rapporté par un narrateur fictif) d'une fidélité sans tache à son mari allant jusqu'à se laisser assassiner à coups de couteau pour ne pas céder au viol. Son poursuivant l'assassine donc lorsqu'elle tente de lui échapper et la viole pendant qu'elle agonise de ses blessures. Elle suscite de ce fait l'admiration universelle et le mari la transporte en terre la tête haute.
Ainsi ne pas céder au viol au prix de sa vie, semble une vertu majeure, au XVIe siècle et choisir de céder au viol pour sauver sa peau est très mal vu. Pourquoi ? Parce que le déshonneur aurait été pour son mari, et l'honneur d'un homme compte donc plus que la vie d'une femme, en ce temps-là.
Le mari enterre avec dignité sa défunte femme bien que celle-ci se soit en définitive fait violer ET tuer.
Dans le cas de la légendaire Sophonisbé, la violence reste plus limitée mais la mort est aussi au bout : l'homme qui l'aime, mais dont l'honneur est en jeu, le père de la jeune fille voulant la donner à un rival, son fiancé qui porte le nom de Massinissa, lui fait lui-même apporter la coupe de poison qu'elle doit boire, l'invitant à faire le sacrifice de sa vie pour préserver son honneur à lui, ce qu'elle fait.

Cette peinture rococo du XVIIIe siècle de Giambattista Pittoni représente la mort héroique de Sophonisbé.

Vous allez me dire, cela a bien changé aujourd'hui, heureusement. Je ne serais pas si catégorique. Le culte de Sophonisbé s'est poursuivi les siècles suivants et faire le sacrifice de sa vie pour des questions d'honneur liées à la sexualité est resté pour une femme assez longtemps considéré comme une vertu. Puis on a pensé que dans le cas d'un viol, son silence suffisait et qu'elle n'avait plus besoin de se suicider. L'honneur du mari restait sauf car une femme ayant appartenu à un autre, viol ou consentement, pour l'homme de ces temps-là, cela ne faisait pas de différence. Mais avec le développement de la psychologie, on s'est rendu compte que l'adultère et le viol n'étaient pas identiques et que la victime condamnée au silence éprouvait un état de mort psychique qui n'était pas forcément mieux que la mort tout court. Cela ne fait pas très longtemps. Maintenant où en est-on ?

11 commentaires:

  1. Qu'ajouter à ce billet édifiant ? Sinon ma reconnaissance éternelle aux féministes qui ont permis aux femmes d'aujourd'hui, en Occident du moins, de pouvoir exercer leur libre arbitre.

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  2. eh bé, quel article ! cela me rappelle aussi la mort d'une jeune fille ici en France, il y a 2 ans je crois, justement qui s'était battue avec son agresseur et qui en est morte (elle avait réussi à le blesser) 'sans céder', d'un autre côté je trouve ça très courageux, il faut déjà ne pas être sidérée pour réagir, ce n'est pas donné à tout le monde, peut être aussi toute une éducation. J'observe que dans l'histoire que tu relates, elle se laisse tuer, mais ne semble pas se battre à son tour. C'est vrai qu'il s'agit de l'honneur des hommes,je l'ai compris en lisant sur le viol comme arme de guerre ou les viols massifs dans les conflits de l'Est, les procès devant le Tribunal Pénal International ... je crois que ce n'est pas tant le traumatisme des femmes (ou leur vie enlevée car beaucoup ont été tuées) mais surtout le fait que ça enlève ces femmes, ça les 'salit' au regard de leur propre peuple et surtout des hommes. Le cheptel féminin échappe aux hommes du pays, elles portent des enfants de l'ennemi, la lignée n'est plus assurée ... qui a fait bouger les hommes et organiser des procès.

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  3. à Tania , oui nous leur devons beaucoup, en effet, ce qui ne les empêche pas malheureusement de continuer à passer aujourd'hui pour "ridicules" auprès de bien des gens dont...des femmes !
    à Emelire, la muletière de l'histoire est surprise la nuit en train de dormir, son violeur avait emménagé un jour des fentes invisibles dans les tentures qui menaient juqu'à son lit (voir maisons et chambres à coucher de l'époque). Elle bondit hors du lit et court autour d'une table. Son agresseur a un couteau dans chaque main ! Elle se bat mais la bataille est très inégale.
    Dans le livre s'en suit un débat sur la légitimité ou non de parvenir à ses fins par le viol avec une femme. Un protagoniste surnommé Hircan (mais on sait qu'il désigne l'époux même de Marguerite de Navarre) est d'avis qu'il est normal pour un homme de vouloir prendre par la violence ce qu'on n'a pu avoir par la persuasion lorsqu'il désire une femme. On a donc sacrément fait du chemin.
    Et la reconnaissance par le TPI du viol comme crime de guerre est un gigantesque progrès, en effet. Mais il y a quand même encore du travail si on considère le débat autour de l'affaire Polanski qui revient assez à la question suivante : une star peut-il être un violeur ? C'est en quelque sorte du Hircan emballé autrement.

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  4. Euterpe svp connaissez vous Elke Heidenreich ?

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  5. A Jf : Oui, bien sûr, mais quel rapport avec Sophonisbé ?

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  6. Aucun Euterpe si ce n'est que j'ai regardé " les noces d'argent" sur arte et pas trouvé grand chose sur Elke Heidenreich sur internet et je me suis donc permis de vous poser la question sur votre blog; encore que dans ce film hommes et femmes se déchirent à pleine dent et que j'y ai trouvé beaucoup de violence hommes femmes. Je sais pour être un homme qu'il y a de la violence en l'homme mais je sais aussi pour être le père de deux filles que je n'en veux pas et pour être le père de deux garçons je me suis efforcé d'essayer de leur inculquer l'idée que l'on ne touche les femmes qu'avec des pétales de roses. Ceci étant dit il y a aussi parfois de la violence, beaucoup de violence en la femme ...

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  7. Ah oui, je n'ai pas pensé qu'on ne trouvait pas grand chose sur Elke Heidenreich en France puisqu'évidemment, en Allemagne, elle est ominiprésente dans la presse et sur internet !
    Oui, il y a beaucoup de violence en la femme mais peu comparable à celle qu'elle subit. Rien qu'au XVIe siècle, les guerres étaient incessantes et les femmes, filles, voire petites filles du peuple se faisaient systématiquement au moins violées si ce n'est violées, torturées et massacrées à la moindre prise de village. Ces violences ne laissent pas la femme intacte de ressentiment bien entendu, même sur des générations, néanmoins elle est très vite stigmatisée si elle l'exprime. La violence masculine, elle, est systématiquement dédouanée. Ici c'est le thème que j'aborde : la violence en tant qu'un droit que se donne l'homme sur la femme.

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  8. Après Mai 68 j'ai cru que de nouveaux rapports hommes femmes allaient s'instaurer, j'ai eu l'impression qu'ils se mettaient en place dans ma vie et autour de moi mais en fin de carrière d'instit, en maternelle, en 2008 j'ai eu souvent l'impression que les rapports hommes femmes se tendaient à nouveau; il m'est arrivé de me demander si la lutte des sexes n'était pas en train de prendre la place de la lutte des classes ? Et à travers mes enfants et leurs copains ou copines je me suis souvent posé des questions et je m'en pose encore parfois. Il y a une chose aussi que je voudrais vous dire. Je me souviens de mendiants quand j'étais enfant puis d'une période où il n'y en avait presque plus. A nouveau on voit des mendiants partout et ... ça je ne l'avais jamais vu enfant là où je vis depuis 58 ans ... on voit maintenant des mendiantes. C'est quelque chose qui me met très mal à l'aise. C'est aussi je trouve une grande violence.

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  9. Oui, malheureusement, on ne peut pas se reposer sur les acquis. Il faut sans cesse travailler à les maintenir. Ce système de capitalisme libéral qui jette les gens à la rue, en particulier les femmes qui forment la majorité des pauvres de la planète est un système prédateur masculin, on est bien obligé de le dire. Mais bien des hommes dans l'ombre y sont opposés, ainsi qu'ils sont opposés à l'oppression des femmes et c'était déjà la cas au XVIe siècle, comme j'y ai déjà fait allusion. Je n'ai pas encore présenté tous les hommes indignés par ces injustices, d'ailleurs.

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  10. Bonjour. Excellent article. Cependant, Sophonisbé ne s'est pas suicidée par amour, encore moins pour un homme, mais pour ne pas tomber vivante aux mains des Romains. Scipion l'Africain souhaitait effectivement l'emmener comme captive à Rome, suite à la prise de Cirta.

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  11. Par PATRI.otisme, donc. C'est à dire par amour pour l'organisation PATRIarcale traditionnelle qui assigne un pays au PÈRE dans le sens étriqué + large du terme. Chez moi, je demande de faire un effort pour imaginer un monde non-patriarcal, ce que vous ne faites pas en ne voyant ni dépendance affective, ni condition féminine ni logique patriarcale à ce suicide.

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